Michelet n’est pas un historien féministe... du moins pas de son plein gré. Explorons quelques-unes des contradictions qui sous-tendent son récit de la ténacité héroïque avec laquelle une mercière parvint à mettre un terme à l’arbitraire des enfermements dans la Bastille ou encore celles qui émaillent son géniale portrait d’Olympe de Gouges.
Les femmes, estime Michelet, sont « le sexe faible ». Elles ne peuvent remplir les graves offices, apanage des hommes. Elles sont essentiellement des mères, des êtres dotés d’une sensibilité compassionnelle. Il n’empêche, convient-il au début des Femmes de la Révolution (1854), elles furent aux avant-postes de ce bouleversement.
Ainsi, écrit-il, « la première apparition des femmes dans la carrière de l’héroïsme (hors de la sphère de la famille) eut lieu, on devait s’y attendre, par un élan de pitié. » Par hasard, madame Legros, mercière de son état, entre en possession du mémoire que Latude, un prisonnier politique fort maltraité à la Bastille, avait rédigé à l’adresse d’un philanthrope dont il espérait le secours. Or, quand les Malherbes et autres esprits éclairés se contentent de se lamenter sur le sort de Latude, madame Legros, elle, "ne pleure pas, (...) mais elle agit à l’instant. Son héroïsme est "complet : elle eut l’audace d’entreprendre, la force de persévérer, l’obstination du sacrifice de chaque jour et de chaque heure, le courage de mépriser les menaces, la sagacité et toutes les saintes ruses, pour écarter, déjouer les calomnies des tyrans. » Michelet fait valoir que c’est le zèle indéfectible de cette « pauvre petite mercière » qui eut, en 1784, raison de la Bastille, avant même sa prise. Car, explique-t-il, « c’est elle qui saisit l’imagination populaire de haine et d’horreur pour la prison du bon plaisir qui avait enfermé tant de martyrs de la foi ou de la pensée." Bref, "La faible main d’une pauvre femme isolée brisa, en réalité, la hautaine forteresse, en arracha les fortes pierres, les massives grilles de fer, en rasa les tours. » (Les Femmes de la Révolution, chapitre III).
Donc, selon Michelet, si a priori les femmes sont faibles, a posteriori il en est certaines qui n’en pas moins plus fortes, conséquentes et valeureuses que bien des hommes tenus pour grands.
Le portrait qu’il donne au chapitre IV dOlympe de Gouges comporte une structure tout aussi contradictoire : « fort illettrée », inconséquente, « faible tête », Olympe de Gouges est cependant « brillante », pertinente, capable de bons mots alors même que sa vie est menacée et féconde en "idées généreuses". (...)