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Mediapart
Macron confie les HLM aux maires et ouvre la porte à l’arbitraire
#HLM #Macron
Article mis en ligne le 19 juillet 2023
dernière modification le 18 juillet 2023

Après la révolte des quartiers, le chef de l’État a souhaité déléguer aux élus locaux l’attribution des logements sociaux. Un demi-tour sur le chemin de la mixité sociale : depuis des années, de nombreux maires se servent du levier locatif comme d’un instrument de clientélisme et de maintien de l’entre-soi.

Dans les tuyaux depuis plusieurs mois, la mesure a été dégainée par Emmanuel Macron à la faveur des révoltes des quartiers populaires. Le président de la République a annoncé aux 220 maires qu’il recevait, le 4 juillet dernier à l’Élysée, sa volonté de « remettre dans leurs mains l’attribution des logements sociaux ». Le chantier est censé avancer « d’ici à la fin de l’été », indique l’entourage présidentiel, dans le cadre des solutions destinées à « éviter » une nouvelle flambée des banlieues.

Loin de Roubaix ou de Bobigny, c’est à Bercy que la nouvelle a fait le plus d’heureux. Le ministère de l’économie et des finances plaide de longue date pour un désengagement de l’État des politiques de logement. (...)

La plupart des associations d’élu·es accueillent aussi la nouvelle avec satisfaction. « C’était une de nos vieilles revendications, salue Gil Avérous, maire (Les Républicains) de Châteauroux (Indre) et président de Villes de France. Il est logique de décentraliser la politique de logement et de la confier à ceux qui connaissent le mieux leur territoire et ses besoins, à savoir les maires. » Pour le pouvoir, qui vient également d’assouplir les contraintes liées à la circulation automobile, c’est aussi une manière de caresser dans le sens du poil des élus locaux appelés à renouveler, dans deux mois, la moitié des sièges du Sénat. (...)

Actuellement, l’attribution des HLM est partagée, selon le niveau de financement de chaque acteur, entre les mairies, les intercommunalités, les bailleurs sociaux, Action Logement (représentante des entreprises) et les services de l’État. Ceux-ci sont notamment chargés de l’hébergement d’urgence et des familles éligibles au droit au logement opposable (DALO), donc des publics les plus fragiles.

L’attribution par les maires est ainsi loin de faire l’unanimité. « Cette décision irait à rebours de l’histoire, avertit Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Depuis vingt ans, le mouvement va plutôt vers une attribution au niveau intercommunal et ça a du sens. » Comme d’autres, il considère que la décision présidentielle ouvre la porte à un certain nombre d’excès, au premier rang desquels les discriminations en tous genres. (...)

En prétextant privilégier des familles liées à la commune (parce qu’elles y habitent ou qu’elles y travaillent), nombre d’élus locaux attribuent les logements sociaux selon une logique de peuplement, donc de sélection sociologique. « La préférence communale revêt un côté antisocial très clair », abonde Manuel Domergue.

Fervente défenseure de la mesure, l’extrême droite a bien saisi l’enjeu d’une telle prérogative. (...)

La préférence communale, pratique illégale mais encore à la mode (...)

Un préfet confie : « Les maires nous mènent déjà la vie dure pour ne pas accueillir de publics DALO, qu’ils accusent de tous les maux. C’est très étrange de leur en confier la responsabilité. »

Un autre haut fonctionnaire, professionnel des questions de logement, regrette aussi que la mixité sociale ait « été dévoyée. Elle s’est retournée contre les personnes pour lesquelles elle avait été pensée. Maintenant, on ne dit pas “je ne veux pas de pauvres et de Noirs dans mon parc”, on dira “je veux préserver la mixité sociale”. Et les maires qui jouent le jeu récupèrent tous les ménages DALO, ce qui crée des effets de concentration de la pauvreté. » (...)

Dans les services de l’État, des communes ou des bailleurs sociaux, la voie de la décentralisation esquissée à l’Élysée en fait transpirer plus d’un. « Ce sont les maires des communes privilégiées qui, aujourd’hui, bloquent le système en s’opposant à ce que leur population change, rappelle Fabien Desage. En remettant le maire au cœur du dispositif, on va renforcer la préférence communale et empêcher d’autres acteurs d’agir sur les mécanismes de ségrégation socio-spatiale. » (...)

Un maire pointe, sous couvert d’anonymat, « le non-sens » que revêt selon lui l’ambition du chef de l’État. « Quel est lien entre ce qu’il s’est passé dans les banlieues et le système actuel d’attribution des logements sociaux ? Il n’y en a aucun, peste cet élu de gauche, en première ligne sur cette thématique. En quoi changer cela va résoudre le problème ? En fait, c’est un moment de crise sociale que le président de la République utilise pour que l’État se débarrasse totalement des politiques du logement. » (...)