
Dans l’édition du Monde datée du 13 mai[1], un pleine page, sous le titre « Face à la pression scolaire, des lycéens en burn-out » est consacrée, comme l’indique le sous-titre, à « la hausse des phénomènes anxieux liés au contrôle continu et à l’orientation ». En bas de page, une spécialiste du burn-out scolaire, elle-même psychologue de l’éducation nationale à Rouen, parle d’ « incertitude maltraitante » pour les lycéen.ne.s, en évoquant la « sélection permanente » et en rappelant que « c’est notre système scolaire dans son ensemble qu’il faut interroger. Il a été historiquement pensé pour une élite ».
Nous commencerons d’abord par souligner qu’il est question ici des lycéennes et lycéennes passant des épreuves de spécialité, des lycéens soumis à la réforme du lycée et du baccalauréat. Il s’agit donc des élèves qui ont été reconnus, à la fin de leurs années de collége, comme aptes à entrer en voie professionnelle ou technologique, et non orienté.e.s, de gré ou de force, en lycée professionnel. On parle donc d’élèves considéré.e.s scolairement comme en réussite, et on ne parle pas des autres pour qui la pression scolaire s’est soldée par une orientation plus ou moins contrainte dans une voie de formation professionnelle ou, déjà, par ce qu’on appelle le « décrochage », qui, dans le meilleur des cas, peut déboucher sur une « école de la deuxième chance ». De cette pression exercée sur des élèves où les jeunes issus des milieux populaires sont surreprésentés, il n’est pas question ici. Pourtant ils constituent la majorité de cette tranche d’âge, puisque 59 % des jeunes français obtiennent un bac professionnel, un bac technologique, un CAP, ou s’arrêtent au brevet des collèges, alors que dès le collège, ce sont les contenus des futurs enseignements généraux de lycée qui déterminent les programmes.
Une fois de plus, on s’intéresse, que l’on soit journaliste ou non, à ceux qui nous ressemblent le plus… (...)
La pression scolaire n’est pas nouvelle, mais elle s’exerce aujourd’hui sur une part importante de notre jeunesse, avec l’élargissement de l’accès au lycée général et technologique. (...)
on n’a jamais tenu compte de ce que Pierre Bourdieu et François Gros écrivaient en 1989 dans un rapport remis au ministre Lionel Jospin : « Il importe de substituer à l’enseignement actuel, encyclopédique, additif et cloisonné, un dispositif articulant des enseignements obligatoires, chargés d’assurer l’assimilation réfléchie du minimum commun de connaissances, des enseignements optionnels, directement adaptés aux orientations intellectuelles et au niveau des élèves, et des enseignements facultatifs et interdisciplinaires relevant de l’initiative des enseignants. »
Trois décennies plus tard, il faut bien considérer que l’enseignement est toujours « encyclopédique, additif et cloisonné », et que « les enseignements interdisciplinaires relevant de l’initiative des enseignants » sont toujours hors de propos dans nos lycées.
On touche là du doigt la réalité de la pression scolaire. Elle s’exerce bien entendu sur les élèves, mais aussi sur les personnels, dont les capacités d’initiative sont toujours plus corsetées. (...)
On n’attend plus d’eux de l’ingénierie pédagogique, mais plutôt un travail d’exécutant, qui peut prendre la forme de gavage dans les enseignements de spécialité. Quant aux personnels sociaux et de santé de l’éducation nationale, ils ne cessent d’alerter sur le nombre de postes non pourvus, qui les contraint à se consacrer exclusivement aux urgences, et non à la prévention et à l’accompagnement de celles et ceux qui en auraient besoin.
Pour les élèves comme les enseignants, il serait heureux de sortir d’une obsession de la note, renforcée par les dispositifs de contrôle continu qui, avec des épreuves communes, transforment l’année scolaire en année d’examen permanent. La note est reine, parce qu’avoir le baccalauréat et sa mention, c’est avoir la meilleure moyenne générale possible.
La pression scolaire, c’est celle d’une organisation conçue pour ne concerner qu’une minorité de la jeunesse qui est étendue désormais à 40% de cette population. C’est celle d’une organisation qui, plutôt que de faire confiance à ses personnels, bride leur créativité. (...)