
En dépit de l’universalité proclamée des Droits de l’Homme les étrangers ne sont pas placés sur un même pied d’égalité que les nationaux. Leur situation tend même à se dégrader. Par Danièle Lochak, professeure de droit émérite de l’université Paris Ouest-Nanterre La Défense.
La priorité accordée depuis une quarantaine d’années à la « maîtrise des flux migratoires » a conduit à multiplier, au nom de la lutte contre l’immigration « clandestine », les dispositifs répressifs, attentatoires aux libertés : contrôles d’identité ciblés, fichage, visites au domicile pour débusquer la présence illégale de membres de la famille, enquêtes de police pour vérifier la communauté de vie entre les conjoints, généralisation de la détention. Les droits solennellement proclamés, tel le droit au respect de la vie privée et familiale, ont vu leur portée se réduire comme peau de chagrin.
Une précarisation du droit au séjour
Sous prétexte de se prémunir contre la fraude, le mariage des étrangers, et plus encore les mariages « mixtes », ont été placés sous haute surveillance dès l’instant où ils sont susceptibles d’engendrer un droit au séjour ; le regroupement familial a été soumis à des conditions de plus en plus strictes et la menace d’une séparation pèse sur les familles dont certains membres n’ont pas réussi à obtenir un titre de séjour. Cette politique a aussi engendré la précarisation du droit au séjour. Les réformes législatives successives ont en effet remis en cause l’avancée majeure qu’avait représentée, en 1984, la loi sur la carte de résident : valant autorisation de séjour et de travail, valable dix ans et renouvelable automatiquement, elle avait vocation à devenir le titre de séjour « de droit commun », les cartes temporaires n’étant plus délivrées que de façon résiduelle. Aujourd’hui, la carte de séjour temporaire est redevenue le titre de droit commun, tandis que l’accès à la carte de résident est étroitement contrôlé, dépendant de l’appréciation discrétionnaire du préfet sur la réalisation d’une série de conditions, dont la fameuse condition d’« intégration républicaine » introduite par les lois Sarkozy de 2003 et 2006. Mais même la délivrance et le renouvellement de la carte temporaire sont soumis à des exigences croissantes et à l’arbitraire d’une administration qui interprète les textes le plus restrictivement possible. Des centaines de milliers de personnes se retrouvent ainsi sans papiers par l’effet d’une législation et de pratiques de plus en plus sévères, alors même que, en raison de leur situation familiale, de la durée de leur présence en France ou des risques qu’ils encourent dans leur pays, ils auraient vocation à obtenir un droit au séjour.
Des conséquences directes sur l’accès aux droits
La précarisation du séjour a des conséquences particulièrement visibles sur le terrain des droits économiques et sociaux. (...)
certaines prestations, comme le RSA, sont subordonnées à la détention d’un titre de séjour de longue durée – cela, alors même que, comme on vient de le relever, l’accès au séjour régulier et à un titre de séjour de longue durée est rendu plus difficile. Quant aux quelques prestations qui ne sont pas conditionnées à la régularité du séjour, les étrangers en situation irrégulière ont souvent du mal à en obtenir le bénéfice, soit parce qu’ils sont démunis face aux pratiques illégales d’une administration peu encline à respecter la loi, soit parce qu’ils hésitent à s’adresser aux services publics, par crainte d’être dénoncés et reconduits à la frontière.
Une série d’entraves existent également dans le domaine de l’emploi. (...)
La précarisation des titres de séjour constitue de même un obstacle pour bien des actes de la vie sociale, par exemple lorsqu’il s’agit d’obtenir un prêt bancaire ou de convaincre un propriétaire de donner son logement en location. L’accès au logement social lui-même est rendu plus difficile par la condition de permanence du séjour que doit remplir l’ensemble des personnes majeures composant le foyer du demandeur. (...)
L’absence de titre de séjour, outre qu’elle condamne les personnes à vivre dans la crainte constante d’être repérées, débouche sur un déni des droits fondamentaux [1] condamnés à être employés « au noir », les travailleurs sans papiers ne sont ni déclarés ni immatriculés à la sécurité sociale. Leur vulnérabilité les amène à accepter des conditions de travail très dégradées, notamment dans des secteurs comme la restauration, le nettoyage, le bâtiment et les travaux publics et la confection, où les dispositions protectrices du code du travail et les normes de sécurité, pourtant théoriquement applicables, ne sont pas respectées. (...)