Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Telerama
“Lettre au policier qui m’a tiré dessus : j’ai perdu mon œil, mon cerveau et la personne que j’étais”
Diffusé en replay sur France.tv jusqu’au 5 juin
Article mis en ligne le 27 mai 2020
dernière modification le 26 mai 2020

Elle est allée à Paris pour la deuxième fois afin de manifester avec les Gilets jaunes. Grièvement blessée au visage par un tir de LBD40, Vanessa Langard, 36 ans, raconte sa mutilation dans le documentaire “Ma blessure d’âge adulte”, disponible sur France.tv. Elle s’adresse aujourd’hui au policier qui lui a tiré dessus.

Diffusé en replay sur France.tv jusqu’au 5 juin, Ma blessure d’âge adulte multiplie les témoignages de mutilés des manifs et demande des comptes au pouvoir et aux forces de l’ordre. Après avoir parlé avec Vanessa Langard, nous avons décidé de publier cette lettre, qu’elle adresse au policier qui lui a tiré dessus. (...)

« Le samedi 15 décembre 2018, en bas de l’avenue des Champs-Élysées, ma vie a basculé. L’un de vous, membres des forces de l’ordre, m’a visée et atteinte au visage par un tir de flash-ball. Pourquoi avez-vous visé ma tête ? Comment aurais-je pu échapper à une balle lancée à 320 kilomètres-heure à seulement 5 mètres de moi ? Vous avez reçu des ordres, mais j’aimerais que vous preniez conscience que ce geste m’a tuée à l’intérieur, qu’il a détruit ma vie et celle de mon entourage.

La manifestation venait juste de commencer, l’ambiance était bon enfant, il ne se passait rien. À un moment, nous avons vu une rangée de CRS. Nous étions quatre, nous nous sommes données la main en nous disant : “Éloignons-nous, on ne sait jamais, s’ils gazent…” Nous avons marché trois minutes et je me suis retrouvée au sol. Je ne me rappelle rien, sauf le cri d’une femme : “Appelez les pompiers, elle s’est pris un coup de flash-ball !” Mon cerveau s’est mis sur pause, mais des témoins ont vu la BAC (brigade anti-criminalité) me tirer dessus. J’ai eu « de la chance » : les Street Medic [secouristes volontaires qui fournissent les premiers soins dans les manifestations, ndlr] étaient juste en face. Alors que je faisais une hémorragie interne, ils m’ont accompagnée à l’hôpital et soutenue avant qu’on ne m’opère en urgence. Ils ont été vraiment exceptionnels…

“Nous demandons à être reconnus comme victimes de violences d’État. Que la France cesse son déni sur ces questions.”

Avant, j’étais décoratrice sur verre. Depuis quelques mois, je venais d’arrêter pour devenir “auxiliaire de vie” et m’occuper pour 300 euros de ma grand-mère qui était tombée malade. Je devais commencer un boulot supplémentaire dans les écoles. Ma mère, qui a travaillé toute sa vie, venait d’apprendre qu’elle toucherait une toute petite retraite par mois. J’étais choquée. C’est pour défendre le droit des personnes âgées et des retraités que j’ai décidé d’aller manifester.

Ma vie d’avant, c’est fini (...)

Nous demandons à être reconnus comme victimes de violences d’État. Que la France cesse son déni sur ces questions. (...)

Dans mon cas, le procureur a reconnu qu’il y avait eu « violence volontaire venant d’une personne ayant autorité amenant à une mutilation ». L’IGPN (la police des polices) a reconnu un tir injustifié. Ils cherchent le tireur [plusieurs procédures sont en cours, ndlr]. Tout cela est très long. Heureusement que des associations et collectifs de soutien aux blessés et victimes (Face aux armes de la police, Désarmons-les !, Clap 33, Plein le dos, l’Assemblée des blessés) nous ont permis d’obtenir des conseils, un peu d’aide, des noms d’avocats…

“Est-ce que monsieur Macron se rend compte que sa police tire sur son peuple, mutile des innocents ?”

En 2019, avec d’autres blessés, nous avons créé le Collectif des mutilés pour l’exemple pour nous soutenir et chercher des solutions. Et éviter que cela finisse mal pour l’un d’entre nous… C’est cette solidarité qui nous a permis de lever la tête et de survivre. (...)

Les nouveaux LBD40 sont équipés de viseur holographique. Ils sont très précis. Qu’on ne me dise pas que vous ne saviez pas ce que vous faisiez. En Allemagne, où ont eu lieu de grosses manifestations, la police utilise des canons à eau. Vous avez déjà vu une main en moins ou un éborgné ? Non. La France a fait un choix. (...)

Aujourd’hui, je porte la voix des mutilés pour obtenir justice. Je me suis pris un tir de flash-ball, mais je veux que ce drame serve à tous. Deux options : soit je m’effondre, et vous avez gagné ; soit je me bats contre l’utilisation de ces armes, et ce serait pour moi une victoire. »