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Lettre au Président de la République : où allons-nous ?
Je suis une mère, une femme, une citoyenne d’ici et d’ailleurs.
Article mis en ligne le 31 août 2020

En cette veille de rentrée, la « crise » semble oubliée. Pourtant, elle est partout. Crise sanitaire, environnementale, économique, sociale, morale. Elle est aussi celle des responsabilités qui semblent se déliter.

Monsieur le Président,

Je n’ai pas de porte-voix.

Pour attirer votre attention, je ne peux que vous raconter mon histoire.

Elle ressemble à une chronique, celle d’une fin annoncée.

C’était un dimanche d’août ensoleillée, et pourtant la fièvre est montée.

Le rendez-vous a été fixé en fin de journée, à la fin des consultations.

Fièvre et maux de ventre pour le petit, fièvre et maux de tête pour la maman.

Le verdict est aussitôt tombé. Il faut vous faire dépister, voici les ordonnances. Toute fièvre est aujourd’hui suspecte m’explique-t-elle.

En lettre manuscrites, il a été ajouté : suspicion Covid-19. Souligné trois fois par la main exténuée.

Le petit ventre n’aura pas été palpé, les oreilles et la gorge n’auront pas été examinées. Les questions n’auront pas été posées. Le protocole n’aura pas été expliqué. Ses yeux étaient cernés.

C’est la queue pour quoi là ? Celle-là c’est pour le test PCR, pour les autres c’est celle-ci. Et les gens qui attendent là ? Ils sont déjà inscrits, ils attendent pour faire le test.

La petite cour est déjà pleine, la foule déborde dans la rue. Le mètre n’est pas respecté. Tout le monde est mélangé. Des jeunes, des vieux, des couples avec enfants. Vous venez faire le test ? Oui, j’ai les symptômes. Et vous ? Moi, j’ai une ordonnance. Nous on rentre de vacances, on veut être sûr avant la rentrée. Pardon, moi je viens juste chercher des résultats, je peux passer ? (...)

La porte du box reste ouverte, on y rentre, puis on en sort à la chaîne.

Rien n’aura été nettoyé. La poubelle de mouchoirs, masques et gants usagés n’aura pas été vidée.

C’est pourquoi ? C’est pour l’école ?

Les ordonnances n’auront pas été lues.

La sueur perle de sa charlotte, son visage est tendu, elle n’en peut plus.

Tenez-lui les bras. La tête doit être tenue en arrière. M. Tu viens m’aider ? Attends je dois mettre ma blouse. Y’a plus de charlotte ? Dépêche-toi j’ai une prise de sang à faire.

L’enfant aura hurlé. Le sang aura coulé. Le vomissement de justesse évité.

Personne suivante s’il-vous-plaît. Excusez-moi, mon fils saigne du nez. Ca vous va un Sopalin ? J’ai rien d’autre. Dépêchez-vous Madame, j’en ai encore d’autres à faire.

Les résultats dans 4 à 5 jours. C’est pas 24 heures ? Non, y’a trop de tests, le labo suit pas.

On doit faire quoi en attendant ? Je sais pas, demandez à votre médecin.

Et si c’est positif ? Vous serez sûrement appelés, pour votre entourage. (...)

Certains seront partis en vacances, le PSG aura eu sa finale, une partie du pays aura respiré. On aura presque oublié.

La rentrée aura été programmée, le protocole allégé, les entreprises auront leurs salarié.e.s, l’immobilier ne se sera pas effondré, les profits seront distribués. (...)

Pendant ce temps, ici et ailleurs, le point de non-retour aura été atteint, l’oxygène vendu au marché noir, des peuples auront disparu, des mourants auront attendu dans les couloirs, des villes auront été encerclées, des traités auront été abandonnées, des fillettes auront été mariées. Partout, nombreus.e.s auront été exténué.e.s.

Je viens vers vous, Monsieur le Président, demander un éclaircissement.

Vous qui pilotez la gestion de la crise sanitaire, vous qui prétendez préparer notre avenir, pourriez-vous m’expliquer : où allons-nous ? (...)

Nul besoin de longs développements, de chiffres, de citations. Je fais confiance à votre intelligence, Monsieur le Président, vous comprendrez ma question.

Si votre tâche n’est point aisée, la mienne de l’est pas davantage.

Si je dois encore honorer l’ensemble de mes obligations, ferez-vous de même Monsieur le Président ?

Je n’ai ni le temps, ni l’opportunité, moi, de monter à la tribune, de figurer en haut d’une liste, de marcher derrière la banderole. Je fabrique, j’accouche, j’éduque, je soigne, je nourris, je reçois, j’assouvis, je réconforte. Et lorsque la fièvre monte, je ne dors pas. Je vous écris la nuit, Monsieur le Président, presque en catimini. Il m’arrive de subir. Il m’arrive d’en mourir. (...)

Je suis une mère, une femme, une citoyenne d’ici et d’ailleurs.

Nous sommes nombreuses il me semble, et d’autrES encore voudront se joindre à nous.