Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
l’Express
Les victoires du Défenseur des droits
Article mis en ligne le 5 juin 2018

Coiffeur traité de "pédé", Chibanis contre SNCF... La voix du Défenseur s’élève de plus en plus devant les tribunaux.

Le 31 janvier dernier, la SNCF était condamnée en appel pour discrimination envers 848 Chibanis. Ces ex-cheminots venus du Maroc dans les années 1970 n’ont pas bénéficié du statut avantageux accordé à leurs collègues européens. Rémunération moindre, pas de progression de carrière, pas de formation, pas de retraite anticipée... Ils ont subi nombre de préjudices. En cause ? Une clause de nationalité qui les a maintenus au statut de contractuels tout au long de leur vie professionnelle. Ceux qui ont eu la "chance" d’être naturalisés se sont heurtés ensuite à une condition d’âge. En ce début d’année, la justice leur aura donné gain de cause. Oui, la compagnie ferroviaire les a bien discriminés. Et doit leur verser la coquette somme de 180 millions d’euros.

Dans cette affaire, les avocats des victimes se seront montrés pugnaces. Mais ils auront aussi pu compter sur le Défenseur des droits. Comme dans 140 autres cas en 2017, cette institution est intervenue au procès. C’est la cour d’appel elle-même qui a sollicité son expertise, face à un dossier pour le moins épineux. (...)

Dans les prétoires, une nouvelle figure est donc apparue depuis quelques années. On ne croise plus seulement juge, parties, et avocats aux audiences, mais aussi les représentants du Défenseur des droits. Leurs "observations", autrement dit leur analyse des faits d’un point de vue juridique, sont suivies dans 76% des cas par les magistrats. (...)

Si le Défenseur peut ainsi intervenir devant les tribunaux, c’est qu’il possède le statut "d’ami de la Cour". "Il s’agit d’une notion de common law [droit appliqué dans le monde anglo-saxon, ndlr] tellement novatrice chez nous qu’au début, les juridictions elles-mêmes ont mis un peu de temps à l’intégrer", relate Claudine Jacob, directrice du pôle Protection des droits et affaires judiciaires. Un autre aspect questionnait : faire intervenir un tiers saisi par l’une des parties n’était-il pas de nature à induire une rupture de l’égalité des armes ? "Il y a eu pas mal d’audiences où les gens disaient ’’regardez, moi je suis tout seul alors qu’ils sont deux’’, évoque Slimane Laoufi. Or, nous ne sommes pas l’avocat de la personne qui nous a saisis." (...)

L’institution ne se mobilise pas seulement dans les "grosses" affaires, comme celle des Chibanis. Récemment, c’est un coiffeur qui a vu son cas appuyé par les équipes de Jacques Toubon. (...)

Même auprès des juges professionnels (ce n’est pas le cas des conseillers prud’hommes), l’intervention du Défenseur n’est pas dénuée d’intérêt. "Notre objectif, c’est de faire avancer la jurisprudence car le droit de la discrimination est mal connu, y compris par certains magistrats qui ne l’ont pas forcément appris dans leur cursus", indique Claudine Jacob.

La règle de l’aménagement de la charge de la preuve, par exemple, doit parfois être rappelée aux parties et aux magistrats. (...)

Les observations en justice sont aussi un moyen, pour le Défenseur, de pousser à certaines évolutions du droit. Ainsi, pour la première fois en 2016, une cour d’appel a reconnu la notion de "harcèlement sexuel d’ambiance". Saisi par l’Association européenne des violences faites aux femmes (AFVT), le Défenseur a argué devant les magistrats de cette cour, enquête à l’appui, que ce qu’avait eu à subir la salariée d’un journal relevait bien de cette notion : des propos récurrents à connotation sexuelle dégradants, des photographies de membres féminins de la rédaction en position suggestive affichées dans les locaux, des femmes à forte poitrine en fond d’écran, des vidéos porno entre collègues... Bref, un environnement de travail "harcelant" dans sa globalité. (...)