Parmi les conséquences multiples de l’antitsiganisme en France figure la ségrégation dont sont victimes les « gens du voyage », qui se trouvent assigné·es spatialement aux « aires d’accueil ». Ces espaces inhospitaliers sont bien souvent construits en périphérie des villes et à proximité de décharges, de grands axes routiers et d’installations industrielles. De ce fait, les voyageuses et voyageurs subissent au quotidien des nuisances environnementales diverses : bruits, poussières, pollutions variées, risques chimiques et routiers, etc. Cette discrimination s’ajoute à d’autres, héritant d’un long processus de discrimination et de racisation des populations voyageuses.
Depuis 2019, William Acker, juriste et délégué général de l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC), milite pour visibiliser et combattre le racisme environnemental. Dans cet entretien, il explicite sa démarche, décrypte la situation des voyageuses et voyageurs dans la France contemporaine et présente les liens théoriques et militants qui se construisent avec des personnes et des collectifs impliqués dans d’autres luttes pour la justice sociale et environnementale.
Introduction
On a toujours un a priori négatif sur les voyageurs et voyageuses, donc on éloigne au maximum. Mais éloigner les gens, ça coûte cher, parce qu’il faut trouver les bons zonages d’urbanisme, viabiliser les terrains, les raccorder à l’eau et à l’électricité. Tirer les câbles, ça coûte super cher. Pour réduire ces coûts, on va se rapprocher d’autres usages qui ont été éloignés pour des raisons de nuisances environnementales. Quand j’étais petit, mon grand-père me disait « si tu ne trouves pas l’aire d’accueil quand tu arrives dans une ville, tu cherches la déchetterie ». Et c’est vrai que ça marchait un coup sur deux. Donc on éloigne des centres, mais en même temps on rapproche des décharges, des déchetteries, des carrières, des usines dangereuses. Mais aussi de certains bâtiments : en faisant cet inventaire des aires d’accueil, j’ai été saisi par le fait de faire en même temps un inventaire des mosquées et des centres de rétention administrative. On voit le racisme du ciel : ce sont des zones d’exclusion où on met tous les gens qu’on ne veut pas voir dans les villes, toutes les personnes les plus marginalisées, fragilisées, stigmatisées. (William Acker, 19 mars 2024)
(...) Cette analyse succincte, que l’entretien avec William Acker détaille dans la suite de cet article, met en évidence une situation où les inégalités environnementales et sanitaires sont criantes. Les luttes des voyageuses et voyageurs (Acker et Mathias-Kebbab, 2023) sont alors bien souvent des luttes pour la justice environnementale, terme décrivant les « mobilisations de minorités défavorisées contre des décisions et des pratiques, industrielles comme gouvernementales, à l’origine de pollutions et de nuisances environnementales et sanitaires parfois dramatiques » (Paddeu, 2016). Le fait que les inégalités environnementales que subissent les voyageurs et voyageuses découlent d’un racisme, l’antitsiganisme, conduit à considérer que la situation relève du racisme environnemental. Comme celui de justice environnementale, le concept de racisme environnemental est né aux États-Unis dans les années 1980, servant initialement à décrire l’exposition disproportionnée des populations indigènes, noires, et latinx aux pollutions industrielles (Melosi, 1995 ; Pulido, 2016a). (...)