
Depuis une dizaine d’années, des serres high-tech, hautes d’entre cinq et sept mètres, s’étendent en Bretagne sur des hectares et des hectares. Riverains et associations dénoncent l’artificialisation des sols, la pollution des eaux et la destruction de la biodiversité.
Artichauts et choux-fleurs s’alignent sur des centaines de mètres. À chaque embranchement de route, des panneaux indiquent des lieux-dits aux noms typiques : Kerveyer, Bournazou, Kerleunoc, etc. Régulièrement, des serres posent leurs reliefs, rompant la platitude de l’horizon. Angles droits et façades de vitres blanches qui, dans la grisaille, se confondent presque avec le ciel.
La commune finistérienne de Plouescat est connue pour deux choses. Ses plages bretonnes, mêlant longues étendues de sable et dentelles de rochers sur lesquelles danse l’écume des vagues ; et dans l’arrière-pays, ses productions de légumes, qui ont de moins en moins les racines en terre et sont de plus en plus abrités par des cages high-tech. (...)
« Il n’y a plus de refuges pour la biodiversité »
« Cela envahit le paysage », constate le militant associatif, aussi apiculteur. « Cela a des conséquences sur les abeilles, sur l’eau qui ne s’écoule plus dans le sol, sur les terrains qui sont aplanis. Il n’y a plus de refuges pour la biodiversité. L’association a demandé à la mairie de Cléder de limiter l’extension des serres. Cela a été refusé. » Comment dire non à la principale activité économique du secteur, avec le tourisme ?
Il est régulièrement appelé par des riverains, qui lui rapportent la présence de déchets de cultures : les plants de tomates, une fois la production terminée, sont retirés des serres et entreposés en d’immense tas mélangeant tiges, fruits et attaches plastiques nombreuses sur les plantes qui font plusieurs mètres de haut. « Ils ne trient pas. Cela devrait être incinéré, mais ce n’est pas toujours le cas. Des milliers de morceaux de plastique se répandent dans la nature, le liquide de la fermentation des tomates s’infiltre dans le sol. » Le tout provoque un ajout de nitrates dans une région déjà saturée. (...)
La carte de la pollution lumineuse en Bretagne est éclairante : ces serres sont l’un des principaux points visibles la nuit. La démonstration des conséquences de cet éclairage nocturne sur la biodiversité et la santé humaine n’est plus à faire. (...)
Pour limiter les problèmes liés à l’éclairage, l’exploitant a promis l’installation d’écrans d’occultation. Reporterre a tenté de le joindre aux coordonnées laissées dans son dossier d’étude d’impact : aucun numéro n’a abouti. (...)
tout est mis en œuvre pour permettre un rendement maximal, à grand renfort de technologie. Une véritable petite usine à tomates, en somme. (...)
Toujours dans le Finistère, la presqu’île de Plougastel est un autre territoire dont la vue satellite est parsemée de carrés allant du blanc au gris foncé, qui marquent l’emprise d’une autre coopérative : Savéol, reine des tomates et de la fraise. Certes, certaines serres sont là depuis les années 70. Mais un vent de modernisation et d’extensions a soufflé ici aussi. (...)
Les terrains agricoles ont été nivelés, modelés, terrassés. Désormais, les hectares de verre verticaux se dressent au-dessus de sa tête. (...)
Contactés, les exploitants de ces serres, membres de la famille Gouennou, n’ont pas répondu. Les numéros de téléphone sonnent dans le vide… Sauf un. Mais dès que le mot « journaliste » est prononcé, la réponse est immédiate : « Ça ne nous intéresse pas ! » Ils font partie du groupement de producteurs Savéol, qui a refusé notre demande de reportage dans une de ces serres. (...)
l’association À quoi ça serre (...) a déposé plusieurs plaintes contre les dépôts de déchets des serres – plants de tomates en décomposition pleins d’attaches, fraisiers encore pris dans leurs gangues de substrat entouré de plastique. L’une a abouti, début juillet, à la mise en demeure d’un serriste par le tribunal correctionnel. À Plouescat, c’est le résultat de l’enquête publique qui a contrarié les serristes : l’avis est favorable, mais avec plusieurs réserves qui incitent l’exploitant à modifier son projet. Deux premières, des petites victoires qui donnent un cap, dans cet océan de verre et de plastique.