
Dans les Hautes-Alpes, deux agents de la police aux frontières (Paf) ont été condamnés cet été par le tribunal de Gap. L’un avait frappé un adolescent malien, l’autre s’était mis dans la poche les 90 € d’une amende réglée en liquide par un automobiliste italien. Mais le problème est plus vaste : ces dernières années, de nombreux migrants passés par la frontière alpine de Montgenèvre ont raconté y avoir été rackettés par des policiers.
Deux policiers condamnés ? Voilà qui n’arrive pas si souvent. C’est pourquoi la décision rendue le 30 juillet dernier par le tribunal de Gap (Hautes-Alpes) mérite d’être soulignée.
François Maison, un gardien de la paix de 51 ans, a été déclaré coupable de « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ». En août 2018, il avait frappé Moussa*, un adolescent malien qui tentait de pénétrer en France. Le fonctionnaire a été condamné à deux ans de prison avec sursis et à verser 900 € à la victime. Son avocat a exprimé l’intention de faire appel.
Le second condamné était le binôme du premier. Joffrey Carron, 30 ans, travaillait comme adjoint de sécurité jusqu’à la fin de son contrat à la Paf de Montgenèvre, en février dernier. Jugé coupable de « soustraction de fonds d’un dépôt public » et d’« usage de faux », il a été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis. Il avait gardé l’argent d’une amende de 90 € payée en liquide par un automobiliste italien pour un défaut de ceinture de sécurité – et falsifié un registre pour couvrir sa faute.
En outre, les deux hommes ont écopé chacun d’une amende de 1 000 € et d’une interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans. « Cette décision intervient dans un contexte de déni des violences policières par le pouvoir politique et rappelle que nul ne doit échapper à la loi », s’est félicité Me Vincent Brengarth, l’avocat de Moussa.
Des exactions connues mais jusque-là impunies
À la frontière franco-italienne des Hautes-Alpes, la problématique des abus policiers dépasse largement les deux méfaits condamnés par le tribunal. Depuis plusieurs années, les défenseurs des droits des étrangers – en particulier Tous Migrants, une association briançonnaise – multiplient les signalements au procureur de la République. Au total, plus de cent témoignages ont été recueillis. Ils font état de violences policières et de vols subis par les personnes exilées arrêtées à Montgenèvre, une station de ski située à la frontière [1].
Un réserviste de la Paf a lui aussi tiré la sonnette d’alarme. Mais pour qu’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) soit diligentée, il a fallu un rapport interne du nouveau patron de la Paf de Montgenèvre, remis en janvier 2019 au procureur de Gap. Ce texte met l’accent sur une série de dysfonctionnements récurrents survenus à l’occasion d’interpellations de migrants, dont les économies disparaissaient. (...)
Une pièce décisive
C’est en partie l’enregistrement audio effectué par Moussa qui a permis à l’IGPN de retrouver les deux policiers poursuivis. Si le jeune homme n’avait pas eu la présence d’esprit d’appuyer sur la touche « Enregistrer » de son téléphone, sa parole aurait sans doute eu peu de poids face à celle de François Maison, le gardien de la paix aux cheveux gris que Moussa n’a pas formellement reconnu lors de la confrontation organisée à Marseille le 25 novembre 2019... mais que ses collègues de la Paf ont balancé.
Le 2 juillet dernier, lors de l’audience au tribunal de Gap, le gardien de la paix a été sommé de justifier les bruits de chute qu’on entend dans l’enregistrement. Il a expliqué avoir repoussé le jeune exilé vers un panneau métallique, tout en reconnaissant ne pas s’être senti menacé... « On entend clairement plusieurs coups ! », l’a contredit la présidente du tribunal, Isabelle Defarge [4], cherchant à savoir « dans quel cadre procédural » se situait alors l’agent. (...)
Assis sur le banc des plaignants, Moussa a savouré dignement le procès de ses agresseurs. Il n’a exprimé qu’un souhait : « Je veux seulement qu’on me rende mon argent et que plus aucun migrant ne subisse le même sort que moi. » Pas gagné : selon Agnès Antoine, cofondatrice de l’association Tous Migrants, diverses atteintes aux droits des exilés perdurent à la frontière.