
Une nouvelle et terrible « révolution verte » gagne le monde, l’agrobusiness. Dopée par une demande alimentaire croissante, elle gagne du terrain au Sud et dévaste tout sur son passage. Son modèle commercial et productiviste colonise de nouveaux territoires, du bassin amazonien aux confins de la Papouasie-Occidentale en passant par le continent africain, l’« ultime frontière ».
(...) Avec l’appui de gouvernements, d’institutions internationales, d’agences de coopération et d’une poignée de fondations philanthropiques, ce nouveau mode de production et de commercialisation agricole s’impose peu à peu sur la planète.
Pointées du doigt pour leur responsabilité dans la crise alimentaire de 2008 et dans le mouvement d’accaparement des terres qui a suivi, les grandes firmes de ce secteur ont renouvelé leur discours et remodelé leurs stratégies. Comble ! Elles se veulent désormais actrices « incontournables » de la lutte contre la faim. (...)
Fort de la contribution de plusieurs spécialistes de différents pays du Sud, l’ouvrage offre toutes les données factuelles et éclaircit les enjeux actuels et futurs de cette folie agricole et écologique.
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Éditorial de Laurent Delcourt : Alternatives Sud : Les nouveaux territoires de l’agrobusiness
(...) Mis en cause dans la crise alimentaire de 2007-2008 et la destruction des écosystèmes, les géants de l’agrobusiness ont poursuivi sans entrave leurs dynamiques de concentration des filières à l’échelle de la planète, et continué à imposer leur modèle agro-industriel standardisé, socialement excluant et écologiquement destructeur, avec le soutien non dissimulé des acteurs publics (Alternatives Sud, 2010 ; 2012). Jamais le secteur n’avait été si concentré, jamais le pouvoir de marché des grandes firmes n’avait été aussi grand, jamais leur influence n’avait été aussi décisive sur l’orientation des politiques agricoles (Mayet et Greenberg, 2017). Partout, les monocultures industrielles progressent à grands pas, accaparent les meilleures terres, repoussent les frontières agricoles, et gagnent du terrain sur les forêts, les savanes ou les espaces traditionnellement réservés à la polyculture paysanne ou à l’élevage traditionnel.
Principal fournisseur mondial de nourriture animale, le complexe du soja, dominé par une poignée de transnationales (Bunge, Cargill, Maggi, ADM et Louis Dreyfus Company) poursuit son irrésistible expansion en Amérique du Sud, propulsée par l’insatiable demande européenne et chinoise. Tour à tour, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et, plus récemment, la Bolivie, le Pérou et la Colombie se sont laissés gagner par la fièvre de l’« or vert ». Encouragée par leurs gouvernements, de gauche comme de droite, la production de soja (transgénique à 90%) y a littéralement explosé durant ces vingt-cinq dernières années, au prix d’une destruction irrémédiable des milieux naturels et d’une aggravation des conflits fonciers (Oliveira et Hecht, 2018). (...)
Les plantations de palmier à huile progressent également en Asie. En Indonésie et en Malaisie bien entendu, qui concentrent à elles deux près de 85% de la production, mais aussi en Thaïlande, au Cambodge, au Vietnam, en Birmanie et, surtout, en Papouasie Nouvelle-Guinée, principale frontière asiatique du palmier à huile. Néanmoins sur ce continent, la densité démographique, la raréfaction des terres disponibles et la consolidation des normes environnementales limitent l’expansion du secteur (Cramb et McCarthy, 2017 ; Greenpeace, 2018). C’est pourquoi, après avoir dévasté les forêts primaires de Bornéo et Sumatra, les gros producteurs d’huile de palme se tournent désormais vers le continent africain. (...)
L’Afrique : nouvelle frontière de l’agrobusiness
De fait, longtemps tenue à l’écart des grands flux internationaux d’investissement étranger dans le domaine de la production agroalimentaire, l’Afrique a (re)trouvé une place de choix dans les stratégies internationales des grandes firmes. Le tassement de la demande alimentaire au Nord, l’explosion des besoins en agro-énergie et en nourriture carnée2, le plafonnement des rendements, la saturation des espaces actuellement cultivés et le renforcement des normes environnementales et sanitaires qui limitent les possibilités d’expansion (et par conséquent les marges de profit) en Asie et dans les pays de l’OCDE ont propulsé le continent au rang de « nouvel eldorado » de l’agrobusiness. (...)
La production de nourriture et d’agrocarburants et le contrôle des réseaux de distribution se trouvent également dans le viseur des grandes firmes. Dans ces secteurs, elles ont été rejointes, après la crise alimentaire de 2007-2008, par une myriade d’investisseurs européens, chinois, indiens, brésiliens ou des pays du Golfe. (...)
mouvement de conversion de l’agriculture africaine aux canons productivistes de l’agrobusiness et du marché international y est bel et bien amorcé, et devrait s’amplifier. À terme, il risque de bouleverser de manière durable des sociétés encore profondément rurales et d’accroître les tensions sociales, sur un continent en proie déjà à de nombreux conflits socio-environnementaux. (...)
Instrumentalisation de l’enjeu alimentaire (...)
ces dix dernières années, les espaces politiques internationaux, régionaux et nationaux en charge de la gouvernance alimentaire et nutritionnelle ont littéralement été phagocytés par les grandes firmes de l’agrobusiness, passées maîtres dans l’art d’imposer leurs priorités dans les agendas politiques, en redéfinissant à leur avantage les grands problèmes humanitaires et les solutions qu’il conviendrait de leur apporter (Alternatives Sud, 2012 ; Valente, 2015).
Certes, ce processus de capture ne date pas de la crise alimentaire. (...)