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Calais : chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute
christophe courtin Consultant international sur les questions de : société civile, justice, droits de l’homme.
Article mis en ligne le 22 novembre 2021
dernière modification le 21 novembre 2021

Les images que l’actualité nous renvoie sur les situations aux frontières sud, orientales et occidentales de l’Union européenne, en Sicile, en Podlachie à la frontière biélorusse et dans le Calaisis face à l’Angleterre, montrent que les pays européens ont perdu leur boussole des droits de l’homme. Philippe, Anaïs et Ludovic dans l’église Saint Pierre continuent de bâtir l’humanité.

À l’occasion des évènements de l’église Saint Bernard en 1996, Paul Ricoeur[1]posait le débat de l’accueil des migrants dans des termes qui sont les mêmes vingt-cinq ans plus tard : la question de l’étranger n’est pas une affaire de morale, c’est d’abord une affaire de droit.

Il est tout à fait légitime qu’un Etat régule l‘arrivée des étrangers sur son sol, mais Ricoeur rappelle l’article 14 de la déclaration universelle des droits de l’homme : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. ».

Tout migrant n’est pas persécuté chez lui, mais beaucoup le sont.

La philanthropie ne nous permet pas d’examiner sereinement la situation. L’hospitalité signifie le droit pour un étranger à son arrivée sur le territoire d’autrui de ne pas être traité en ennemi. L’étranger c’est le visiteur, le touriste, l’immigré ou le réfugié et quelles que soient les conditions d’arrivée sur un territoire, cette personne qui doit respecter les lois du pays d’accueil, doit aussi avoir accès à ses droits fondamentaux civils, politiques, économiques et sociaux régis par les textes internationaux de 1948 et de 1966.

Paul Ricoeur réaffirme que seul le respect du droit d’asile permettra ensuite de trouver les dispositifs justes pour encadrer l’immigration basée sur le travail. Or nous faisons exactement le contraire depuis des années. (...)

L’argument de l’idéalisme, de la naïveté, voire de la niaiserie des droits de l’homme ne tient pas.

C’est pourtant bien le droit qui est utilisé pour fonder la répression contre les migrants à Calais : démantèlements de leurs abris de fortune, blocage des points d’eau, destruction de leurs biens. Le flagrant délit d’occupation illicite du domaine public est invoqué par les pouvoirs publics.

En face, du côté des associatifs, c’est l’accès au droit fondamental au logement qui est brandi. Les « opérations d’évacuation en flagrance » donnent alors lieu au spectacle des tentes déguerpies et déchirées par les forces de l’ordre sous les yeux de leurs occupants. Le trouble à l’ordre public est également allégué par les pouvoirs publics.

En face, du côté des associatifs, c’est l’accès aux droits fondamentaux à l’eau et à l’alimentation qui sont revendiqués. Les opérations de maintien de l’ordre montrent alors les cuves d’eau en plastique percées nuitamment, des pierres d’une tonne déposées sur les chemins d’accès aux lieux de distribution d’eau et des engins de terrassement qui détruisent et nivellent des sites de regroupement spontanés de migrants.

Guérilla, jungle, théâtre des opérations, font partie du vocabulaire calaisien. Les trois grévistes de la faim parlent de maltraitance contre des personnes et de secours à personnes en danger, des qualifications juridiques évidentes.

Ici et maintenant à Calais, comme dans d’autres parties du monde, pas besoin de métaphore pour faire comprendre ce qui se joue. (...)

les désordres du monde mettent des millions de réfugiés sur les chemins de l’émigration. Une petite partie demande asile chez nous, comme le droit international le permet. La lente et difficile construction de l’Etat de droit, des droits de l’homme, du droit humanitaire, ce qui fonde notre pacte social, va-t-elle tenir face à la vieille règle anthropologique du rapport de force qui fondait les premiers rapports sociaux humains et dont peu à peu nous sommes sortis ?

Nous avons les moyens financiers et humains de faire appliquer les droits de l’homme, d’examiner les situations de persécution, de faire le tri entre la demande d’asile et la migration économique, de dire le droit. Dire l’inverse c’est nier ce qui fait notre humanité comme l’ont nié beaucoup de barbaries jusqu’au siècle dernier.

La ligue des droits de l’homme, le CCFD-Terre Solidaire, la Cimade, Emmaüs France, Utopia 56 et de nombreuses autres associations militantes l’ont compris et rentrent en résistance au sens le plus noble et dramatique que nous connaissons à ce mot.

Philippe, Anaïs et Ludovic dans l’église Saint Pierre continuent de bâtir l’humanité. Ils ont suspendu leur grève de la faim parce que le gouvernement a reculé : un délai de prévenance avant chaque évacuation, mise en place d’une instance de dialogue et mise oeuvre de sas de protection. Un recul tactique, pas une défaite.

L’argument de l’irréalisme des droits de l’homme est toujours un argument cynique à la vue courte et au front bas mais au rendement électoral prouvé en ces temps troublés.

Les coutures des fondamentaux humanistes de nos sociétés craquent de toute part. (...)