
En empêchant les hommes confrontés à une situation traumatique de parler, les injonctions à la virilité font du mal.
Dans une enquête datée de décembre 2017, le ministère de l’Intérieur révèle que 17% des personnes (soit 38.000 en moyenne par an entre 2008 et 2016) ayant déclaré avoir été victimes de violences sexuelles sont des hommes. Malgré ce chiffre, leur parole peine encore à se libérer.
« De la même façon que, selon les termes de Simone de Beauvoir, “on ne naît pas femme, on le devient”, on ne naît pas viril, on le devient », pose Olivia Gazalé, professeure de philosophie et autrice. « Être viril, c’est faire la démonstration de son appétit de puissance, de son aptitude à dominer, de ses facultés d’autocontrôle et de rétention émotionnelle. »
Élément de culture, « la virilité, c’est un tout : c’est une manière de penser, de sentir, d’agir et de paraître », appuie Philippe Liotard, anthropologue à l’université Lyon I, « cela fait partie de la masculinité, qui regroupe l’ensemble des qualités et caractéristiques qui vont transformer le mâle en homme ».
Seulement voilà, la virilité –et les injonctions qui l’accompagnent–, en empêchant les hommes confrontés à une situation traumatique de prendre la parole, tend à faire plus de mal que de bien.
« La virilité, c’est la pénétration active »
« La virilité représente une charge culturelle énorme et cela crée une souffrance. » C’est ainsi que François Devaux, président de l’association La Parole libérée, pointe du doigt le concept, véritable frein à l’émergence de la parole des hommes victimes de violences sexuelles. « Il faut distinguer les hommes ayant vécu ces violences étant enfants, et ceux qui les ont vécues adultes, précise-t-il, le statut de l’enfance peut ne pas remettre en cause la virilité à venir de la victime ». Un point de vue soutenu par Adrien, victime de pédocriminalité : « Lorsqu’un enfant est victime d’un adulte, on y voit rapport de force non genré, où ce n’est pas ton sexe qui est mis en cause ».
Damien, 28 ans, violé par son oncle à 19 ans, a vécu une véritable rupture dans la vision qu’il a de lui en tant qu’homme. « J’ai immédiatement opté pour le silence, il ne fallait pas que ça se sache, je devais à tout prix me taire, j’avais honte, confie-t-il. “Pleurer dans les jupes de ma mère” ou décevoir mon père, c’était impensable. » Cette honte, Olivia Gazalé l’explique par les « vieux archétypes qui ont façonné nos représentations ».
« En ne voulant pas paraître fragile aux yeux des autres, je me fragilise un peu plus chaque jour » (...)
« Dès la Rome antique s’opère un radical clivage entre les pénétrants et les pénétrés, appuie l’autrice, la virilité, c’est la pénétration active ; la dévirilisation, c’est la pénétration passive. Pour certains hommes, cela n’a pas changé depuis l’Antiquité, hélas : ils considèrent toujours leur phallus comme un outil de domination. » Un schéma encore appliqué, comme en témoignent les jugements portés sur les hommes victimes de violences sexuelles orchestrées par d’autres hommes. (...)
« En parlant, on découvre que les craintes que l’on avait n’étaient finalement pas fondées »
François Devaux, président de l’association La Parole libérée (...)
Afin d’entamer pleinement leur reconstruction, certains cherchent pourtant à faire entendre la réalité des violences sexuelles faites aux hommes. François Devaux ne s’en cache pas, « passer devant les médias, parler, ça fait évoluer les choses, ça casse des codes. On passe devant les micros pour faire percuter les gens quant à la connerie dans laquelle on baigne ». Les mots sont crus, mais nécessaires. « En parlant, on découvre aussi que les craintes que l’on avait n’étaient finalement pas fondées », poursuit-il. (...)
Une expérience partagée par Adrien : « Je pense que les choses évoluent déjà, le regard que l’on porte sur une “domination” sexuelle de l’homme sur la femme est en train de changer. En tout cas, à chaque fois que j’en ai parlé, je n’ai eu absolument aucune remarque sur mon genre, ce qui m’a effectivement agréablement surpris. Et si j’avais su que l’ensemble des réactions seraient aussi safe, j’en aurais sans doute parlé plus tôt ».
Ainsi, briser le tabou passe aussi par la communication libérée, et de bons alliés, ou plutôt, de bonnes alliées.