Les États et les institutions internationales investissent beaucoup d’argent public pour trouver des traitements ou un vaccin au Covid-19. Les grandes firmes pharmaceutiques annoncent vouloir aider. Mais l’industrie du médicament pense surtout à accumuler les profits grâce au virus.
C’est aujourd’hui l’un des traitements à l’étude contre le coronavirus, aux côtés de la chloroquine ou de certains antirétroviraux. Le remdésivir est un antiviral produit par l’entreprise pharmaceutique Gilead, basée en Californie. Il n’a encore jamais été commercialisé. Le 20 mars dernier, la Food and Drug Administration, organe de régulation des médicaments aux États-Unis, lui a attribué le statut de « traitement pour maladie rare ».
Pour être classé « médicament orphelin » (« orphan durg » en anglais), il faut que la maladie concernée ne touche pas plus de 200 000 personnes aux États-Unis au moment du dépôt de la demande. C’était encore le cas au 20 mars pour le Covid-19, avec quelques dizaines de milliers de cas confirmés aux États-Unis. Pourtant, une semaine avant, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a déclaré que le Covid-19 était une pandémie mondiale. Gilead a donc demandé et obtenu le statut de « traitement pour maladie rare », dans l’optique de soigner une maladie épidémique, qui concerne désormais 200 pays et oblige une grande partie de la population planétaire à se confiner.
l
Sept ans d’exclusivité sur les ventes et crédits d’impôt pour les essais cliniques
« Ce statut spécial donne au fabriquant sept ans d’exclusivité sur les ventes du traitement, des crédits d’impôt pour la réalisation des essais cliniques et des approbations potentiellement plus rapides », détaille Juliana Veras, spécialiste des médicaments pour l’ONG Médecins du monde.
Un statut qui permet aux industriels d’exiger des prix élevés
L’appellation « orphan drug » donne une position de monopole sur un traitement, et la possibilité de le vendre plus cher. Pour une entreprise pharmaceutique, c’est avant tout un avantage commercial. « Les traitements des maladies rares coûtent généralement plus cher que les autres médicaments. Ce statut controversé permet aux industriels d’exiger des prix élevés, avec l’argument qu’ils doivent récupérer les coûts de développement et réaliser des bénéfices tout en desservant des populations de patients relativement peu nombreuses, explique Juliana Veras. Sauf que, d’une part, il n’y a pas de transparence dans la fixation du prix, et, d’autre part, nous savons que dans les coûts de recherches et développement, il existe d’importants investissements publics, notamment dans la recherche fondamentale. » Le remdésivir aussi a été développé avec de l’argent public. (...)
Les pratiques du laboratoire Gilead ont déjà été dénoncées sur ses médicaments contre l’hépatite C, vendus à plusieurs dizaines de milliers d’euros le traitement (...)
L’entreprise nourrit un réseau d’influence dans les cercles du pouvoir aux États-Unis. (...)
Une coalition d’organisations a adressé, le 25 mars, une lettre au PDG de Gilead, Daniel O’Day : « Nous sommes choqués d’apprendre que votre entreprise a demandé à la Food and Drug Administration le statut de "médicament orphelin" pour le remdésivir, l’un des rares traitements actuellement à l’étude pour le Covid-19. C’est un usage totalement abusif d’un programme pensé pour inciter la recherche et le développement de traitements de maladie rares. Le Covid-19 est tout sauf une maladie rare. Certaines estimations suggèrent que la moitié de la population des États-Unis ou même plus pourrait contracter la maladie », écrivent-elles (...)
Sanofi s’est dite prête à offrir aux autorités françaises des millions de doses de Plaquenil, sa marque de la molécule. Novartis a également annoncé vouloir faire don de chloroquine. De même que l’entreprise pharmaceutique et chimique allemande Bayer, qui vient de reprendre sa production de chloroquine alors qu’elle l’avait stoppée l’année dernière. L’image du géant chimique d’outre-Rhin s’était détériorée depuis le rachat de Monsanto, qui produit notamment du glyphosate. Bayer a aujourd’hui aussi mis à disposition des autorités de santé des dizaines d’automates et du personnel pour pratiquer davantage de tests de dépistage du Covid à Berlin. De quoi améliorer sa réputation.
Ce que ces grandes firmes pharmaceutiques se gardent bien d’expliquer, c’est qu’elles ont abandonné, depuis plusieurs années, les recherches sur des traitements ou des vaccins contre les virus respiratoires. (...)
« Si on ne change rien, nous serons à nouveau très mal préparés quand viendra la prochaine épidémie »
Les vaccins ne rapportent pas autant que de commercialiser, par exemple, la thérapie génique Zolgensma, un traitement destiné aux enfants atteints d’atrophie musculaire spinale, que Novartis vend à deux millions d’euros l’injection. Le Zolgensma, mis sur le marché l’année dernière « a été développé au départ par l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale, un établissement public], le développement a eu lieu ensuite avec le financement du Téléthon, c’est-à-dire grâce à des dons défiscalisés, donc indirectement avec de l’argent des impôts, rappelle Jérôme Martin, ancien président d’Act Up-Paris et cofondateur, l’an dernier, de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. Et nous nous retrouvons au final avec une molécule rachetée par Novartis qui la revend à deux millions d’euros sans jamais justifier ce prix alors qu’au départ, il s’agit d’argent public. » (...)
comment faire pour que les entreprises pharmaceutiques développent des traitements qui servent à la santé de tous, et pas seulement aux portefeuilles de leurs actionnaires ? « Aujourd’hui, beaucoup d’argent public est mis dans la recherche sur le Covid. Mais cette épidémie aussi se terminera. Si on ne change pas les choses, nous serons à nouveau très mal préparés quand viendra la prochaine », prévient Marius Stelzmann, de la Coordination contre les dangers de Bayer. Comment changer les choses pour mieux répondre aux prochaines crises sanitaires ? Face au Covid-19, comment s’assurer que les traitements et les vaccins à venir seront accessibles à tous, dans le monde entier ? De nombreux acteurs de la santé planchent sur la question en ce moment. C’est ce que vous raconte Basta ! dans le deuxième volet de cette enquête.