
Le Toulourenc, entre Drôme et Vaucluse, écoule ses eaux limpides à travers des gorges étonnantes. Mais ce bijou naturel subit les assauts de nombreux touristes désireux de « profiter de la nature ». Pour l’heure, élus, autorités et défenseurs de l’environnement cherchent la martingale pour ne pas interdire l’accès au site tout en le préservant.
(...) dès la fin de matinée l’eau d’apparence pure se retrouve troublée par les innombrables passages de touristes séduits par ce coin de fraîcheur à l’ombre des saules, des aulnes et des peupliers blancs. Aux heures de pointe, l’étroit cours d’eau va jusqu’à prendre des allures de couloir de métro parisien, où les passants peinent à se croiser sur les rochers. (...)
les photos aux couleurs léchées, postées sur internet et les réseaux sociaux, ont attiré les curieux, accusent les acteurs locaux. Ils fustigent également quelques reportages à la télé nationale, dont les belles images du lieu menacé ont plus attiré que découragé les touristes. Sur les parkings du Toulourenc, disposés de part et d’autre du pont qui le surplombe, les plaques d’immatriculation indiquent que les visiteurs viennent principalement des grandes villes alentours (Avignon, Marseille, Nîmes), ou alors carrément de l’étranger. Certains sont équipés de baskets et sacs à dos pour remonter les gorges, d’autres ont apporté les sièges pliants pour déployer le pique-nique. En 2015, les comptages de voitures avaient permis d’évaluer que plus de 51.000 visiteurs étaient venus arpenter la rivière. En 2019, on a frôlé les 115.000 visiteurs, soit une hausse de fréquentation de 125 % en quatre ans. Pour 2020, chacun craint le pire : « Cette année, on a constaté avec effarement qu’il y avait encore plus de monde », observe Agnièce, qui loue un gîte en bordure du Toulourenc tous les étés. (...)
Désormais, il suffit de parcourir quelques dizaines de mètres sur les rives pour constater qu’elles sont jonchées de papier toilette et d’étrons. De nombreuses traces de feux de camp, pourtant interdits, sont aussi présentes. « On retrouve des déchets allant de la serviette hygiénique à la cannette », décrit Véronique, qui se retrouve régulièrement à les ramasser. (...)
les vacanciers ne sont pas toujours réceptifs aux consignes des autorités ni respectueux des propriétés des riverains. Ces derniers multiplient les récits d’incivilités. « Une fois, en sortant de chez moi, j’ai trouvé quelqu’un en train de faire caca derrière ma voiture ! » se rappelle Véronique. « Avant d’arriver devant chez nous, il y a un panneau propriété privée, un portail, une chaîne : pourtant, on a déjà retrouvé un monsieur à vélo dans le jardin qui ne s’en est même pas excusé », s’étonne Agnèce. « Ils ne comprennent pas qu’on puisse être pressés ou en colère : comme on vit au pays de vacances, on se doit d’avoir toujours le sourire ! » explique Véronique.
Castors et truites perturbés (...)
L’eau que les visiteurs trouvent si pure en apparence est donc considérée de « qualité insuffisante » pour la baignade. En cause, notamment, la forte présence de bactéries fécales… (...)
Toujours pas de quoi décourager les baigneurs. « On est envahis, dépassés. On va au-devant d’une catastrophe écologique et on espère qu’il n’y aura pas de catastrophe humaine ! » alerte Frédéric Roux. « Je n’ai qu’un mot : restez chez vous. On n’a plus les moyens d’accueillir les gens dans cette rivière. » L’édile s’inquiète, car la rivière est aussi dangereuse. Une plaquette distribuée par les offices de tourismes locaux rappelle l’origine de son nom : Toulourenc signifie « tout ou rien ». En quelques minutes, si un orage sévit plus haut sur le Ventoux, même sous un soleil radieux, le calme cours d’eau peut devenir un puissant torrent. Un arrêté interpréfectoral interdit la baignade en cas d’alerte orange ou rouge à l’orage. Mais la plupart des visiteurs ne se renseignent pas, et ignorent les panneaux d’avertissement. En cas d’orage, « on redoute que les gens s’affolent, se piétinent. Et une fois qu’ils sont engagés dans les gorges, on ne peut plus les prévenir. » Par ailleurs, escalader les cailloux en tongs est une expérience qui se révèle régulièrement malheureuse. Riverains et maires racontent la fréquente venue de l’hélicoptère pour rapatrier les blessés. La préfecture du Vaucluse a recensé dix interventions des services de secours en 2018, 11 en 2019 et 6 à la mi-juillet 2020. Celle de la Drôme ne nous a pas répondu. (...)
Les autorités, pourtant, peinent à trouver la solution. Un comité de suivi des gorges a été créé en 2014. Les mairies de Malaucène (Vaucluse) et Mollans-sur-Ouvèze (Drôme) ont alors créé des parkings pour tenter de canaliser les visiteurs, et les limiter par le nombre de places de stationnement. Peine perdue : « les parkings ont fait appel d’air », reconnaît aujourd’hui Frédéric Roux. Puis, une campagne d’information a sensibilisé les offices de tourisme. « On n’interdit pas aux gens d’y aller, mais on sensibilise sur les risques », explique Lucile Andrieu, directrice de l’office de tourisme Ventoux-Provence. « On incite à emprunter le GR plutôt que de faire la ballade dans la rivière. Et on déconseille de mettre des photos des gorges dans les brochures touristiques. » Cette année, des écogardes patrouillent dans la rivière pour sensibiliser et notamment inciter les visiteurs à déconstruire leurs barrages en partant. Les services de gendarmerie de la Drôme et du Vaucluse multiplient les opérations de contrôle des véhicules débordant des parkings. Des panneaux, peu consultés par les touristes, ont été installés pour avertir du danger en cas d’orage. (...)
Le tout a eu peu d’effet, au point que le maire de Saint-Léger-du-Ventoux, commune située en haut des gorges, a pris un arrêté municipal début juillet interdisant l’accès au Toulourenc. « Mais c’est très compliqué, on n’a pas les moyens de le faire respecter, regrette Éric Massot, le maire de Saint-Léger-du-Ventoux. C’est surtout un cri d’alerte, je l’ai diffusé dans la presse locale et aux offices de tourisme et j’espère que ce sera dissuasif. » Par ailleurs, la vallée vit du tourisme, et l’image du Toulourenc attire. « On n’a pas intérêt à ce que le site soit fermé », estime Lucile Andrieu, à l’office de tourisme. « C’est aussi une question ardue au niveau légal : qui a l’autorité pour cela ? » s’interroge Juliette Chassagnaud. (...)
Ainsi, le comité de suivi (réunissant élus et services de l’État) mise sur les travaux prévus pour l’automne : il s’agit de rendre les parkings payants et de limiter fortement le nombre de places. L’idée est de s’orienter vers un tourisme de qualité plutôt que de masse. Une voie médiane sensée permettre la difficile cohabitation entre visiteurs et biodiversité. « On fait tout pour ne pas en arriver à cette décision, mais là, on en est à la dernière étape avant la fermeture des gorges », avertit Juliette Chassagnaud. « Si ça continue, le site va vraiment se dégrader, et on dira “c’était” les gorges du Toulourenc », craint Éric Massot.