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Visions carto/reportage d’Aude Vidal auteure de Petite écologie de la Malaisie.
Le village de Lakardowo résiste en cartes contre une usine de déchets
#Indonesie #dechetstoxiques #sante #pollution
Article mis en ligne le 2 octobre 2025

C’est en secret que les villageois de Lakardowo, à Java, se rendaient à dix kilomètres de là dans les locaux de l’ONG Ecoton, une association de défense de l’environnement. « Les femmes, lors de leurs premières formations sur les déchets toxiques ou sur les régulations environnementales, mentaient à leur famille et à leur voisins quand elles venaient ici. Les hommes attendaient 22 h pour que personne ne les voie. » Riska se souvient de leurs premiers contacts avec l’équipe de biologistes militants dont elle est la benjamine. Depuis quelques mois, elle a le plaisir de voir les villageois venir de jour et toujours plus nombreux, entassés sur le plateau d’un pick-up, pour élaborer avec l’ONG des réponses à ce que vit le village depuis six ans.

En 2010, une usine de traitement de déchets toxiques, PT PRIA (Putra Restu Ibu Abadi), s’installe sur la commune, se présentant aux autorités du village comme une usine de briques et de papier recyclé. Il faut du temps, des malades et des lanceurs d’alerte pour comprendre que les briques en question ne sont que l’une des formes par lesquelles l’usine se débarrasse de déchets toxiques. Encore aujourd’hui, partout dans le village se dressent ces petits murets de parpaings grisâtres, vendus comme un matériau bas de gamme pour villageois pauvres. (...)

Entre 2013, date des premières alertes sérieuses, et 2016, la lutte des habitants s’est intensifiée et organisée, malgré le sabotage dont elle a fait l’objet (l’un des leaders est devenu vice-directeur de l’usine) et malgré les dissensions entre villageois au sujet des effets de la pollution. Mais c’est en février 2016 qu’elle a pris une dimension nouvelle, suite à la répression d’une manifestation aux abords de l’usine. Vingt blessés légers sous les coups de la police ont suffi pour traumatiser tout le village. À cette occasion, de nombreux hésitants comme Juwita s’engagent dans l’opposition, en particulier des femmes. La répression policière devient harcèlement, avec des dizaines de policiers patrouillant chaque nuit dans le village. Mais les villageois ne cèdent rien. Depuis des mois ils affichent leurs revendications sur des banderoles que les autorités retirent régulièrement.

Choquées, en colère, les femmes du village sont de toutes les manifestations (...)

Jeff Cohen, du bureau de Jakarta, est venu assurer Ecoton de son soutien en matière d’activisme pour les droits fondamentaux, comme le droit à un environnement sain. Natif du Michigan, il évoque à Lakardowo l’eau du réseau polluée au plomb dans la ville de Flint, la catastrophe sanitaire et le scandale qui ont suivi aux États-Unis. Le village javanais suscite moins d’intérêt, mais il commence à faire parler de lui dans les médias indonésiens au fur et à mesure que la mobilisation grossit.

PT PRIA est l’unique usine de la sorte à l’Est de l’Indonésie (Java Est et les îles orientales de ce pays-archipel). Elle reçoit les déchets médicaux de 1 500 hôpitaux et centres de santé ainsi que de centrales électriques et industries diverses, soit au total 58 formes de déchets dangereux, pris en charge à moindre coût. Les procédés ne sont pas à la hauteur du danger, explique Daru, membre fondatrice d’Ecoton : les substances sont mélangées sans considération pour les possibles réactions chimiques que cela pourrait entraîner, les déchets sont brûlés dans des incinérateurs qui ne sont pas aux normes (l’essentiel consistant à les compacter), les espaces de stockage ne sont pas imperméabilisés... et l’usine n’est officiellement pas autorisée à stocker des matières toxiques, ce qu’elle fait pourtant. (...)

Sutama et Rumiati racontent comment elles se sont lancées en juin dans un projet de cartographie du village pour faire le lien entre l’exposition des habitants à la pollution de l’usine et les maladies qui les frappent. (...)

La carte est établie à la main, sans l’aide de cartes officielles et sans procédé high tech, à partir de l’expérience des villageoises, l’important étant de bien situer chaque maison. En dix jours, les quatre hameaux sont cartographiés et les cartes peuvent être présentées au village. (...)

La carte met en lumière, aux yeux de tous, les liens entre maladies et exposition, qui jusqu’ici restaient peu évidents. (...)

Cette compréhension plus fine leur permet de convaincre d’autres villageois parmi ceux qui répugnent à s’engager. Le chef du village a depuis lors démissionné. (...)

ce premier pas permettra peut-être à Ecoton, l’association qui accompagne la demande des villageois, de stimuler l’intérêt de partenaires capables de financer des analyses bio-chimiques coûteuses à effectuer ou bien d’identifier plus précisément les maladies. Et ces informations-là pourraient permettre aux villageois de gagner les luttes juridiques qu’ils mènent contre PT PRIA.

La pollution de l’usine ronge la peau et les muqueuses de toujours plus d’enfants dans le village. Arthrites et maladies respiratoires sont également mis sur le compte de la toxicité des déchets mal traités par l’usine. En seulement six ans d’activité, elle a déjà à son actif une dégradation considérable de l’état de santé des habitants. Avec le cumul des pollutions et les périodes de latence, des maladies plus graves encore pourraient se développer et mener à un scandale sanitaire. Quelque part à l’Est de Java, de simples villageois et des scientifiques militants ne souhaitent pas que tout cela arrive.