
Ils ont 19 et 15 ans. Comme des centaines d’enfants, Moussa et Ali ont été pris en otage pendant plusieurs mois par le groupe islamiste nigérian Boko Haram avant de s’enfuir et revenir au Tchad où ils tentent de se reconstruire dans des circonstances précaires.
"Je n’aime pas parler de cette époque", lance Ali, agacé, appuyant ses mots d’un regard dur et froid. Boko Haram, "c’était l’enfer", selon Moussa, qui répond avec un sourire poli, en se triturant les mains, sous une hutte en paille dans un camp de déplacés sur les bords du lac Tchad.
C’est en 2015 qu’Ali et Moussa (noms d’emprunts) ont vu leur village attaqué par des membres de la secte islamiste, comme avant eux des milliers de villageois de la communauté Buduma, vivant de la pêche et de l’agriculture au nord de N’Djamena, à la frontière du Cameroun et du Nigeria.
"Ils disaient leur version du Coran avec le mégaphone de la mosquée et demandaient aux gens de les rejoindre, sinon ils iraient en enfer", se souvient Moussa.
"+Là-bas, au combat, vous aurez de l’argent, vous irez au paradis+, nous disaient-ils. Il y avait quelques volontaires mais ils n’en ont pas trouvé assez. Donc ils ont commencé à tuer six personnes et ont pris une quarantaine d’otages", poursuit le jeune homme. (...)
Le nombre d’enfants-kamikazes a triplé sur les six premiers mois de 2017 par rapport à toute l’année 2016. Entre janvier et juillet 2017, 106 enfants (dont 60 filles) ont été utilisés comme "bombes humaines" par Boko Haram, indique Thierry Delvigne-Jean, chef de la communication Unicef à Dakar joint par l’AFP.
– Fuir Boko Haram -
Il n’empêche. "C’étaient des mois très difficiles", se souvient Moussa. "Chaque nuit, tu es en danger à cause des bombardements de l’armée tchadienne et nigérienne. Tu ne fais que penser à quand tu vas mourir".
Une nuit, Moussa s’est enfui. Ce sont des appels a la désertion entendus a la radio qui l’ont poussé a fuir Boko Haram, explique-t-il.
Depuis le Nigeria, il a marché jusqu’au Tchad avec un groupe. "Cinq personnes sont mortes en cours de route. On avait pris un stock de noix, on en mangeait une toutes les heures". (...)
A leur retour, Ali et Moussa ont pu bénéficier du soutien de l’Unicef, qui affirme avoir aidé avec le gouvernement tchadien plus de 100 enfants à retrouver leurs proches depuis janvier 2017.
– Survivre -
Les deux adolescents vivent sous les toits de paille recouverts de bâches données par l’ONU dans ce camp de déplacés près de la ville tchadienne de Bol, à quelques kilomètres des rives du Lac.
Ali et Moussa ont rejoint les 2,3 millions de déplacés du bassin du Lac Tchad, zone entre le Tchad, le Nigeria, le Niger et le Cameroun. (...)
Aujourd’hui, se nourrir reste la principale préoccupation d’Ali et Moussa, comme les 7 millions de personnes qui souffrent de la faim dans la région du lac, d’après les Nations unies.
Environ 1.300 personnes - dont 500 enfants - ont quitté depuis juillet 2016 les rangs de Boko Haram pour revenir au Tchad, détaille Bakary Sogoba, chef protection de l’enfance pour l’Unicef au Tchad.
Cette vague de retour serait due à une reprise du contrôle de certaines îles par l’armée tchadienne ou à une stratégie militaire mise en place pour couper l’approvisionnement de Boko Haram, le poussant à libérer des civils, analyse l’International Crisis Group (ICG) dans un rapport de mars 2017.