
Depuis dix ans, les structures publiques voient affluer un public précaire auquel elles offrent des services spécifiques en plus des activités culturelles.
Emmitouflés dans plusieurs couches de vêtements, des sacs à dos gonflés par leurs maigres affaires personnelles, ils sont déjà une dizaine à patienter devant la porte vitrée de la médiathèque de la Canopée, en ce mercredi de fin décembre parisien. A quelques mètres, sous l’immense auvent métallique qui abrite le Forum des Halles de Paris, un sapin de Noël géant éclaire de ses lumignons la foule qui s’affaire pour ses dernières courses d’avant-24 décembre. Un sac Monoprix plein à ras bord, Arsène (il a préféré changer son prénom et taire son nom) sourit aux bénévoles malgré son pantalon trempé et sa mine fatiguée : le septuagénaire à la barbe grise clairsemée, qui a passé la nuit dehors, peut enfin se mettre au chaud.
Plus loin, ils sont trois le long de la baie vitrée, attablés devant leur plateau : Alain, 71 ans, tassé sur sa chaise, qui explique avoir un chez-lui mais s’y trouver trop seul ; Claude, la soixantaine bien mise, qui dit apprécier « un petit déjeuner équilibré et la convivialité » ; et Mike, jeune barbu à la rue qui vient se réchauffer et tromper sa solitude en empruntant des livres. Les trois sont des habitués de ces petits déjeuners solidaires organisés quotidiennement par le dispositif Art et food. Parmi la cinquantaine de sans-abri qui défilent durant la matinée, quelques-uns se glissent à l’intérieur des salles de lecture.
(...) « On assiste en direct à la montée de la pauvreté. Peut-être parce qu’on est repéré comme un lieu de fonction sociale où on respecte ces usagers autant que les autres », constate Sophie Bobet, directrice de la médiathèque. Comme dans beaucoup de ces établissements publics, elle a vu la part des précaires augmenter depuis dix ans. Les sociologues Serge Paugam et Camila Giorgetti avaient analysé, en 2013, le phénomène à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou (Des pauvres à la bibliothèque. Enquête au Centre Pompidou, PUF) et constaté que, pour les personnes démunies, ce lieu d’étude et de prêt de livres était un moyen de renforcer les liens sociaux. (...)