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CADTM/GRAIN
Les avocats de la colère
#multinationale #avocats
Article mis en ligne le 9 mai 2023
dernière modification le 8 mai 2023

« L’année prochaine, ce petit verger sera absorbé par une grande Compagnie, car le fermier, étranglé par ses dettes, aura dû abandonner. Ce vignoble appartiendra à la banque. Seuls les grands propriétaires peuvent survivre, car ils possèdent en même temps les fabriques de conserves... Les hommes qui ont donné de nouveaux fruits au monde sont incapables de créer un système grâce auquel ces fruits pourront être mangés [...]. Dans l’âme des gens, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent, annonçant les vendanges prochaines ».

Voilà ce qu’écrivait John Steinbeck lorsqu’est devenue visible, pour la première fois peut-être, la dévastation colossale provoquée par l’agro-industrie capitaliste, l’expulsion qui s’est ensuivie de familles paysannes du Midwest américain et leur arrivée en Californie dans les années 30[1]. S’il écrivait aujourd’hui, Steinbeck remplacerait peut-être les raisins par des avocats. En effet, le modèle de production de ces derniers implique une recrudescence inédite de l’agro-industrie, une recrudescence principalement fondée sur la déforestation et la surexploitation de l’eau, sur l’éradication des modes d’agriculture et l’expulsion de communautés entières. (...)

Après la banane et l’ananas, l’avocat est le fruit le plus commercialisé au monde : sa culture se développe en termes de production et d’hectares accaparés, et continue de s’étendre à de plus en plus de pays. Mais qu’implique donc l’expansion mondiale de ce fruit ? Qu’est-ce qui motive ce négoce et qui ? Comment fonctionne, au niveau mondial et locale, ce modèle qui parvient à maintenir ses prix à la hausse ? Comment a-t-il atteint le succès dont il jouit actuellement, qui le rend présent dans toutes sortes de célébrations et d’évènements sportifs ? Quelles sont les répercussions sociales du commerce opaque auquel il est lié ? (...)

Malgré le peu d’écho obtenu dans les médias étatsuniens, le côté obscur de la production d’avocats a été l’invité embarrassant du championnat 2023. Une plainte contre le gouvernement mexicain a été déposée auprès de la Commission de coopération environnementale de l’ACEUM (Accord Canada-États-Unis-Mexique) pour écocide et impacts environnementaux liés à la production dans le Michoacán[3].

Vue depuis le laboratoire du négoce d’avocats qu’est le Mexique, cette histoire est celle d’un fruit préhistorique vieux de plusieurs millions d’années – recensées – et transformé aujourd’hui par ces dynamiques en marchandise inopportune. Son actualité respire la violence et la fureur d’un consumérisme impulsé par les médias.

Une usine mondiale en plein « boom »

L’avocat est le fruit tropical qui a connu la croissance la plus rapide au cours des dix dernières années[4]. Le Mexique, premier exportateur mondial, assure 40 % de la totalité de ces exportations. Selon les perspectives de l’OCDE et de la FAO, cette proportion pourrait atteindre les 63 % en 2030. Les États-Unis absorbent aujourd’hui 80 % des exportations mexicaines d’avocats. Mais la production s’intensifie dans un nombre croissant de pays. (...)

L’industrie multimillionnaire de « l’or vert » (...)

Un laboratoire de profit et de dévastation (...)

Le boom de l’avocat au Mexique dépend aujourd’hui de l’abattage de forêts entières et a souvent recours à des incendies ou à des coupes sauvages pour faire de la place à d’autres vergers d’avocats, engloutissant les ressources en eau de localités et de régions entières. Les coûts sociaux aussi sont extrêmement élevés. (...)

La fuite en avant. Diversifier les pistes

L’exemple du Mexique nous alerte sur l’une des principales problématiques liées à la culture de l’avocat : l’eau. Au Mexique, la consommation par hectare atteint les 100 000 litres par mois, à laquelle il faut ajouter la destruction des forêts biodiversifiées, fondamentales pour le cycle de l’eau dans son ensemble[46]. L’utilisation sans discernement d’agrotoxiques qui finissent par contaminer les aquifères mériterait une étude à part. Rien que dans le Michoacán, 450 000 litres d’insecticides, 900 000 tonnes de fongicides et 30 000 tonnes d’engrais sont appliqués chaque année sur les avocatiers[47].

Au niveau mondial, la consommation d’eau de cette culture atteint des sommets. (...)

Alors qu’elle continue d’épuiser les ressources hydriques exsangues du Mexique, de la Californie et du Chili, l’industrie se déplace vers d’autres zones de sacrifice[53]. Pour irriguer l’aride vallée péruvienne d’Olmos où les sociétés avocatières californiennes possèdent des terres, le gouvernement péruvien a développé l’un des mégaprojets les plus conflictuels et corrompus du pays : en 2014, un tunnel transandin de 20 kilomètres de long a été construit pour acheminer l’eau du barrage de la rivière Huancabamba jusqu’à Olmos. Le projet a été vendu comme une « opportunité d’acquérir des terres agricoles avec un accès à l’eau au Pérou »[54].

C’est ensuite en Colombie que s’est arrêté le train de la production avocatière (...)

Les graines de la résistance

Si le Mexique s’est révélé un laboratoire de la dévastation, il est aussi un laboratoire de résistance, comme l’illustre la saga édifiante de la communauté purépecha de Cherán, dans le Michoacán. En 2012, une audience préliminaire du Tribunal permanent des peuples s’y est déroulée. Le Tribunal a clairement condamné l’accaparement des terres, la déforestation et le changement d’affectation des sols, l’inondation massive de produits agrotoxiques, l’épuisement des ressources en eau, les incendies et la violence généralisée à l’encontre de la population, en grande mesure provoqués par le vol de bois, le modèle de production d’avocat, les serres de baies et l’agave. (...)

Un an auparavant, la population, excédée par ces injustices et par la violence déclenchée par des groupes paramilitaires illégaux, a décidé de faire front. Cela n’a pas été facile mais la communauté, à commencer par les femmes, a organisé des barrages routiers autour de feux de camp (qui sont devenus des cuisines [fogones] allumées partout aux abords du village). Elle a assumé son autodétermination et s’est opposée à toute institution ou groupe qui remettait en question sa décision collective. Une garde communautaire a été mise en place et chargée de rendre des comptes à l’assemblée, qui est à son tour soumise aux décisions des assemblées de quartier. Cela a mené la communauté à fermer ses portes durant plusieurs années, jusqu’à parvenir à récupérer sa forêt et à établir l’horizontalité de son propre gouvernement, respectueux des femmes, des hommes, des enfants et des personnes âgées.

Dépassant l’exercice de formes horizontales de gouvernement, la communauté a proposé l’autonomie des municipalités et des communautés. Elle a pris des mesures difficiles mais essentielles pour que l’Institut national électoral reconnaisse l’élection des autorités par le biais des « us et coutumes » et en dehors du système des partis politiques. Son exemple s’est répandu, suivi par Angahuan et plusieurs autres communautés qui luttent contre l’agro-industrie, la corruption et le crime organisé[57].

Il ne fait aucun doute que cette lutte pour l’autonomie ne fait que commencer, enracinée dans ses traditions. Les cartels de l’accaparement s’acharnent à soumettre des régions entières, et les peuples suivent quant à eux l’exemple de Cherán et se déclarent autonomes pour se défendre.

Un modèle insoutenable (...)

Stimulée par d’intenses campagnes de marketing qui vantent les qualités nutritionnelles de l’avocat, la consommation par habitant·e n’a cessé de croître dans les pays importateurs. (...)

Comme nous l’avons dit, ce ne sont pas les personnes qui cultivent l’avocat ni les organisations criminelles qui contrôlent le processus. L’intervention des différents acteurs sert toujours le système agroalimentaire industriel dans la destruction qu’il propage pour récolter les dividendes colossaux qu’il accumule. Il est donc important de comprendre la logique complexe de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

Face à ces réalités, il est impératif de redoubler d’efforts pour dénoncer l’agro-industrie et son modèle corrupteur et dévastateur, et que les populations s’organisent pour proposer des solutions à ce cauchemar.