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Les « Hunger Games » du lycéen
Article mis en ligne le 16 février 2021
dernière modification le 15 février 2021

La dernière réforme du lycée a fait de la liberté de choix un argument central : les élèves ont désormais droit à un parcours à la carte. Le prix de cette autonomie ? Moins de suivi, plus d’incertitude. En revanche, la sélection sur Parcoursup est devenue impitoyable. Et le dossier scolaire colle à la peau...

(...) Manon a fini par me confier qu’elle ne dormait plus. Elle cumule plusieurs sédatifs, fait de la sophro, a pensé essayer le psy… Mais elle n’a pas le temps d’aller le voir : « Parcoursup ça commence dans un mois… je veux pas perdre ma chance ».

Comme Manon, des dizaines de jeunes me confient, chaque année, leurs problèmes de sommeil, de stress, d’anxiété. Des symptômes pour lesquels ils n’ont pas toujours de mots, ou qu’ils ne veulent parfois pas avouer. On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans… Au début, leurs yeux rougis me faisaient soupçonner de joyeuses soirées passées devant l’ordinateur ou la console… ce qui existe aussi, évidemment. Et qui n’est pas toujours non plus un gage de bonne santé ou d’équilibre. Mais dans le cas de Manon et de ses camarades, il n’y a ni jeu, ni chat, ni fête. Elle voudrait bien dormir… mais se retourne dans son lit sans y parvenir.

Comment en est-on arrivé là ? Et pour un ou une élève qui accepte d’en parler, combien se taisent ? Je ne saurai jamais combien sont dans le même cas, la pudeur l’emportant souvent chez eux sur le besoin de s’épancher, et un bavardage agité ou un décrochage chronique masquant souvent le vertige qui les habite. Il faut bien de l’obstination, digne d’un enquêteur de série policière, pour comprendre. Et bien de l’abnégation pour leur proposer une aide : dans l’immense majorité des cas, ils-elles la fuient, manquent les rendez-vous, se dérobent aux entretiens. Il faut dire que les lycéen-ne-s sont devenu-e-s des molécules instables, leurs trajectoires ne se croisent qu’épisodiquement, et les structures d’aide ou de conseil ne sont le plus souvent que des cases cochées sur un « contrat d’objectifs ». Les « tutorats », et autres « cellules de veille » ou « de suivi » masquent mal la carence profonde d’un système qui gère désormais les « flux », sans plus prendre le temps de s’occuper des personnes. Comment le pourrait-on, dans un lycée devenu « liquide », comme la « société liquide », en proie à l’individualisme et au bougisme, dont parle le sociologue Zygmunt Bauman ?

La disparition des lieux de parole (...)

Mes élèves se répartissent désormais entre dix « classes » (au lieu de quatre ou cinq) et des dizaines de spécialités différentes, et ne se connaissent plus entre eux-elles. Mais le mot « classe » est devenu un mot aussi creux et abstrait que « vivre-ensemble » ou « continuité pédagogique » : chacun suit son destin, singulier et surtout solitaire… La classe n’est plus qu’une coquille vide, aussi hantée que le château d’Elseneur. (...)

Mais surtout, l’élève est devenu un électron libre : dans un lycée à géométrie variable, il change sans cesse… d’enseignements, de salles, de camarades, de professeurs. A l’image de notre société où il semble que seul le mouvement perpétuel prémunisse contre la chute ? (...)

Quand on sait la complexité des filières du post-bac, elles aussi en mutation constante, l’infini labyrinthe des formations, publiques ou privées, auxquelles les élèves peuvent prétendre, et le panel vertigineux des métiers possibles… on est pris de vertige. Le problème, surtout, c’est que certains professeurs principaux ne connaissent même pas les élèves... qu’ils n’ont pas en cours. S’ils enseignent une spécialité, ils n’ont forcément pas toute la classe (...)

Et si on fonctionne, comme on nous le recommande désormais, en semestres (de quatre mois), l’accompagnement est encore plus lointain. L’argument mis en avant pour le passage aux semestres consistait à promettre qu’on n’abandonnerait pas les élèves, qu’il y aurait des conseils de mi-trimestre... En réalité, nous avons vu circuler un tableau (Google Sheets) où on devait cocher "A, B, C ou D" pour indiquer le niveau... Un peu maigre comme bilan, sans parler de la « concertation » qui se réduit, dans le meilleur des cas, à des échanges de posts sur un fil de discussion. Le dernier lieu où parler des élèves, c’est la machine à café, mais évidemment en ces temps de pandémie elle est peu fréquentée.

Parcoursup : « battle royale »

Les ados savent que ce qui compte, ce n’est plus le bac : réduit depuis la réforme à deux épreuves terminales, le français en Première et la philosophie en Terminale, plus un « grand oral » dont on peine à comprendre les réels objectifs, il n’était déjà plus qu’un fossile. Lors du mouvement de contestation enseignante de juin 2018, déjà c’est le contrôle continu qui avait prévalu de fait, par décision ministérielle, et dans des conditions discutées. A la faveur de la pandémie, d’autres épreuves censées avoir lieu en cours d’année ont été ajournées, puis suspendues. Le cru 2019 a affiché des taux soviétiques. La bienveillance à l’examen est de mise, au point que certains ironisent sur le fait qu’y échouer relèverait d’une mauvaise volonté du candidat. Il n’en est pas de même pour la plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur, « Parcoursup » : les candidats ayant obtenu le bac mais échoué à obtenir une formation sont loin d’être rares. Et pour ceux qui restent en lice, la concurrence est sans pitié. (...)

Et si on fonctionne, comme on nous le recommande désormais, en semestres (de quatre mois), l’accompagnement est encore plus lointain. L’argument mis en avant pour le passage aux semestres consistait à promettre qu’on n’abandonnerait pas les élèves, qu’il y aurait des conseils de mi-trimestre... En réalité, nous avons vu circuler un tableau (Google Sheets) où on devait cocher "A, B, C ou D" pour indiquer le niveau... Un peu maigre comme bilan, sans parler de la « concertation » qui se réduit, dans le meilleur des cas, à des échanges de posts sur un fil de discussion. Le dernier lieu où parler des élèves, c’est la machine à café, mais évidemment en ces temps de pandémie elle est peu fréquentée.

Parcoursup : « battle royale »

Les ados savent que ce qui compte, ce n’est plus le bac : réduit depuis la réforme à deux épreuves terminales, le français en Première et la philosophie en Terminale, plus un « grand oral » dont on peine à comprendre les réels objectifs, il n’était déjà plus qu’un fossile. Lors du mouvement de contestation enseignante de juin 2018, déjà c’est le contrôle continu qui avait prévalu de fait, par décision ministérielle, et dans des conditions discutées. A la faveur de la pandémie, d’autres épreuves censées avoir lieu en cours d’année ont été ajournées, puis suspendues. Le cru 2019 a affiché des taux soviétiques. La bienveillance à l’examen est de mise, au point que certains ironisent sur le fait qu’y échouer relèverait d’une mauvaise volonté du candidat. Il n’en est pas de même pour la plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur, « Parcoursup » : les candidats ayant obtenu le bac mais échoué à obtenir une formation sont loin d’être rares. Et pour ceux qui restent en lice, la concurrence est sans pitié. (...)

S’il est bien difficile d’avoir accès à des statistiques précises et surtout lisibles, les données récemment publiées par le Ministère de l’Education laissent apparaître, sur les deux dernières sessions disponibles, une tension de plus en plus importante entre le nombre de candidats et les capacités d’accueil, y compris d’ailleurs dans des filières censées être non-sélectives[1]. Chaque année depuis la mise en place de Parcoursup, nos élèves passent plusieurs semaines, voire, souvent, plusieurs mois à attendre que des places se libèrent : il est courant que certain-e-s remontent des centaines de places sur des listes d’attente… qui en comptent des milliers ! Sans pour autant obtenir toujours, en fin de compte, le Graal souhaité… Il en faut, du cran, pour compter patiemment les jours quand on est 1500e sur son vœu : beaucoup craquent, et on les comprend. (...)

L’attrait des formations privées, payantes mais qui délivrent une réponse bien plus rapidement, s’en est trouvé renforcé. Alors qu’il y a encore quelques années, des élèves d’origine modeste n’y auraient même pas songé, les familles envisagent bien plus couramment la "solution" du privé, moyennant un endettement conséquent. C’est le sujet de conversation numéro un de mes élèves à chaque printemps ! Tandis que les aspirants aux études de médecine pensent à s’expatrier en Espagne, les futurs vétérinaires en Belgique, d’autres, déçus de leurs affectations ou trop pressés, se ruent vers des « Bachelors » au titre ronflant et aux tarifs prohibitifs, parfois moins regardants sur des dossiers peu reluisants , et qui donnent accès, par la petite (mais onéreuse) porte, à des écoles prestigieuses. Quant aux collègues du supérieur chargés naguère d’examiner les dossiers de candidature, il s’en trouve qui avouent avoir jeté l’éponge : avec le système Parcoursup, le nombre de candidatures a tellement augmenté que seuls les algorithmes sont en mesure d’arbitrer. Des algorithmes dont, malheureusement, on connaît encore mal les critères. (...)

Dylan, lui, a choisi l’insouciance. Accepté sur un seul de ses vœux, il a oublié de le confirmer, et s’est trouvé le bec dans l’eau ; quand il s’est réveillé, c’était trop tard. Est-ce pour éviter cela que certains de ses camarades, devant la complexité de la procédure Parcoursup et le stress qu’elle génère, préfèrent payer un intermédiaire, au tarif « premium », pour effectuer les démarches à leur place, dossier, lettres de motivation et suivi compris ? Car tout le monde n’a pas, à dix-sept ans, l’esprit d’un « entrepreneur de soi », et ne conçoit pas forcément sa vie comme un défi pour valoriser son « capital scolaire ». A vrai dire, la foule des lycéen-ne-s que je côtoie évitent d’en parler : c’est un sujet à ne pas aborder avec eux-elles, sous peine de réveiller une anxiété qui ne demande qu’à resurgir. Et que beaucoup combattent, soit à coups de médicaments… ou de substances grisantes, soit par une indifférence surjouée qui va parfois jusqu’à friser l’inconscience. (...)

il n’y aura pas, en réalité, de seconde chance : le dossier Parcoursup (soit les bulletins scolaires de Première et les deux premiers de Terminale), désormais roi dans la grande majorité des orientations, les suivra tout au long de leur vie, à chaque réorientation… et on sait que les parcours de moins en moins linéaires conduisent à des réorientations de plus en plus nombreuses. Plus d’un élève de Terminale sur deux refera des vœux Parcoursup l’année suivante ! Avec, hélas, toujours le même dossier qui lui collera à la peau comme la tunique de Nessus. A l’âge où l’on n’est pas sérieux, le moindre faux pas, et il n’est pas rare ! reste gravé dans le marbre, ou plutôt l’archive numérique. Celles et ceux qui se cherchent, cèdent aux nombreuses tentations de l’adolescence, mais aussi les « phobiques scolaires », de plus en plus visibles… ou les épuisés du distantiel, sans parler de celles et ceux dont les familles ne sont pas en mesure de les accompagner suffisamment, croient ne perdre qu’un an quand ils perdent beaucoup plus : leurs espoirs à long terme. Mais, comme le leur disent les recommandations officielles pour l’orientation , « construisez votre projet » le plus tôt possible, "sentez-vous libres" et « soyez d’abord vous-mêmes ». Pas si facile.

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