
Analyse de la note scolaire en général et en particulier dans les implications liées à la réforme du baccalauréat et à l’instauration de la plateforme d’orientation post-bac parcou La note comme système d’évaluation des connaissances et des capacités des élèves au sein de l’institution scolaire nous apparaît à ce point naturel que nous ne remettons presque jamais en cause son existence et que nous ne nous interrogeons que rarement sur ce qu’elle implique. Pourtant, ainsi que le faisait remarquer Emile Durkheim dans son livre sur l’histoire des institutions scolaires en France, elle n’a pas toujours existé. Que la note soit la traduction concrète d’une certaine idéologie est un fait qui ne peut apparaître clairement à l’observateur qu’à la condition d’établir à son égard une réflexion aussi rigoureuse que possible. Comme on le sait dans d’autres domaines, l’idéologie se cache bien souvent - en particulier lorsqu’elle a réussi à imposer son hégémonie à l’ensemble de la société - sous l’apparence de l’évidence et du bon sens. Que représente exactement la note et quelle est sa fonction ? voilà les deux questions principales qu’il faut se poser si l’on veut pouvoir comprendre son fonctionnement. Or il nous semble pour répondre à ces deux questions particulièrement pertinent de partir de l’analyse que Marx fait de l’argent dans son livre Le Capital. Il s’agit évidemment d’une analogie dont le développement nous a paru heuristiquement fécond, mais qui comporte, comme tout exercice du genre, ses limites.rsup.
La note comme valeur et ce qu’elle est censée traduire
Qu’est-ce qu’une note ? Il s’agit de l’expression, attribuée le plus généralement par un enseignant selon des critères plus ou moins objectifs, d’une valeur au résultat de l’activité d’un ou plusieurs élèves. Que la note soit comprise sur une échelle de valeur comprise entre zéro et dix, zéro et vingt comme en France, entre A et F (et pondérée dans ce cas par des plus ou des moins) comme aux Etats-unis, entre 1 et 5 avec une valeur inversement proportionnelle à celle du chiffre exprimée comme en Allemagne, tout cela importe peu pour comprendre le mécanisme de l’attribution de la note, de même qu’il importe peu de comprendre le détail des différents systèmes monétaires pour comprendre la façon dont l’argent fonctionne. On pourrait également évoquer le système d’évaluation par compétences qui se distingue des précédents sur certains points mais produit néanmoins une échelle de valeur qui s’apparente in fine aux systèmes d’évaluation traditionnels par notes. La note est donc une valeur qui permet à un élève de se situer selon une échelle de valeur dans laquelle cette note se trouve comprise. Elle lui permet de savoir dans quelle mesure, par le résultat de son activité, il a atteint les objectifs fixés par l’enseignant et/ou l’institution scolaire.
Mais la note n’existe jamais toute seule pour elle-même. Elle intervient au sein d’un système qui permet à l’élève de se positionner à la fois par rapport à lui-même et par rapport aux autres élèves d’un groupe (le plus souvent sa classe). La note est un élément particulier compris dans un ensemble plus vaste composé de plusieurs notes qui forment une moyenne. (...)
Cela étant posé, il importe évidemment pour l’analyse de savoir quels sont les critères qui permettent d’attribuer cette valeur. Nous ne rentrerons pas dans le détail de toutes les modalités possibles d’évaluation qui existent dans le système éducatif dans la mesure où elles sont d’une infinie variété et nous reviendrons plus tard sur la différence de nature pouvant exister entre évaluation formative et évaluation sommative.
La note, si elle sanctionne la pertinence d’un travail effectué par l’élève établie selon des critères plus ou moins objectifs, doit être considérée comme une transcription quantitative de données qualitatives qui peuvent n’avoir que peu de rapports les unes avec les autres. Schématiquement, on peut distinguer entre une activité de restitution simple de connaissances, une activité de mise en œuvre de savoirs-faire dans lesquels les connaissances acquises sont réinvesties en contexte et, enfin, une activité de véritable création. Si on est en droit d’estimer qu’il est possible de s’entendre sur la traduction en chiffre des deux premiers types d’évaluation, il est en revanche beaucoup plus complexe de se mettre d’accord sur ce qui permet de définir une adéquation aux attendus pour le troisième type d’évaluation. Mais la traduction du travail de l’élève en valeur chiffrée peut donner l’impression que ces trois types d’évaluation sont équivalents. C’est évidemment faux et c’est ce que tente de contrebalancer le système des coefficients : plus l’activité demandée à l’élève sera complexe, plus le coefficient sera élevé. (...)
Les spectateurs du cercle des poètes disparus se souviennent peut-être de ce graphique absurde tiré d’un manuel de littérature où il s’agissait d’attribuer une valeur en abscisse et en ordonnée aux œuvres de Byron et de Shakespeare afin de comparer leurs mérites respectifs. Force est de constater que les professeurs, confrontés à la délicate tâche d’attribuer une valeur aux productions de l’esprit de leurs élèves ne se comportent pas autrement que les concepteurs de ce manuel. Selon quels critères attribuer une valeur quantitative à un exercice qui relève du dévoilement du singulier par définition non mesurable ? (...)
Comme Marx le fait à propos de la marchandise, il convient de distinguer la valeur d’usage de la valeur d’échange que l’on peut attribuer aux productions de l’esprit exigées de la part des élèves. (...)