
Le suicide d’une directrice d’école maternelle à Pantin le week-end dernier suscite une vague d’émotion et d’indignation dans le monde enseignant. Avant de mettre fin à ses jours, l’enseignante a mis en cause l’Éducation nationale dans une lettre de trois pages. Le syndicaliste Maxime Reppert, auteur d’un rapport sur la souffrance des personnels de l’Éducation nationale, alerte sur le mal-être profond qui s’installe dans la profession.
Jeudi 26 septembre, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant son école pour lui rendre hommage et demander à l’Éducation nationale de réagir. Le ministre Jean-Michel Blanquer, s’était aussi rendu sur place la veille pour rencontrer les équipes de l’établissement. (...)
Avez-vous été surpris par le geste de cette directrice d’école ?
Non, malheureusement. Ce mois de septembre 2019 est mortifère et dans la lignée de l’année dernière. Depuis la rentrée, un enseignant de 52 ans s’est tué dans l’académie de Clermont, il y a aussi eu une tentative de suicide à Fos-sur-Mer… Les enseignants sont sous la pression de l’institution, peu considérés par le grand public et malmenés dans les médias, ne serait-ce que récemment sur la polémique autour de leurs rémunérations. Sans compter la mise en place de réformes d’ampleur comme celles du lycée et du bac, qui ont un impact lourd sur leur quotidien.
Ce mal-être est-il croissant parmi les enseignants ?
Beaucoup d’enseignants, comme cette directrice, se plaignent d’un manque de soutien de leur hiérarchie (on l’a vu avec le hashtag #Pasdevague), d’une charge de travail non-visible et d’une mise en cause régulière de leur travail, par l’inspection académique ou par les parents d’élèves. Les enseignants ont besoin d’être soutenus par rapport aux problèmes avec les familles, alors que l’institution se contente de gérer l’école comme une entreprise qui doit fournir des rendements (réaliser les évaluations nationales, augmenter le pourcentage de réussite aux examens, réduire le nombre de redoublements…).
Les directeurs d’école sont-ils davantage exposés ?
Leur statut leur confère beaucoup de responsabilités, et la décharge de classe n’est pas à la hauteur du temps qu’ils doivent consacrer à leur mission de direction. En plus des problèmes administratifs et des relations avec les familles, la mairie, ils doivent souvent enseigner. En fait, comme tous les enseignants du primaire, ils souffrent car ils sont en première ligne. Il n’y a pas de filtres, comme au collège ou au lycée, où il y a le service de vie scolaire, le conseiller principal d’éducation, le principal, le principal adjoint…
Le nombre de suicides a-t-il augmenté dans la profession ?
Il y a une sorte d’omerta sur la question. L’Éducation nationale n’a fait aucune étude nationale sur le sujet, c’est dire la part de responsabilité que porte l’État. (...)
Que devrait faire l’Éducation nationale selon vous ?
Instaurer déjà une véritable médecine du travail. Les enseignants n’ont qu’une seule visite obligatoire dans leur carrière, quand ils deviennent enseignants, alors que cette visite est obligatoire tous les cinq ans pour les salariés du privé. Après, l’enseignant peut certes essayer de rencontrer un médecin du travail, mais à sa demande. Quand un enseignant va mal, c’est difficile de passer le pas, d’autant qu’il manque cruellement de médecins…
Quand j’ai vu le ministre Blanquer fin août, je lui ai signalé qu’il y avait plus de vétérinaires pour les bêtes du ministère des armées que de médecins pour les enseignants ! (...)
C’est presque criminel de ne pas l’avoir déjà mis en place quand on sait que chaque enseignant peut avoir sous sa responsabilité une centaine d’enfants. Si on néglige la protection psychologique des personnels, on néglige aussi celle des élèves… À défaut, on aura malheureusement d’autres suicides à venir…