
Enquête 1/3 - Amazon rêve d’un monde où ses clients seraient livrés en un jour. Pour y parvenir, la multinationale multiplie les hangars démesurés où se succèdent les camions. Ce développement, en France, suit une stratégie de mise en concurrence de territoires souvent sinistrés. Reporterre la détaille et publie la carte exclusive des implantations d’Amazon.
Derrière la facilité d’un clic et l’interface lisse d’un site internet se cache parfois un monstre. Amazon, le géant du commerce électronique, se bâtit en France un empire. Poussée par l’explosion de la vente en ligne, la multinationale multiplie la construction de ses immenses plateformes logistiques, alimente un flux incessant de camions et courtise les élus locaux pour devenir hégémonique. C’est l’envers du numérique. Un horizon de béton, de pollution et de chantage fiscal dont Reporterre dévoile les coulisses. (...)
En France, une nouvelle génération d’entrepôts se construit, de plus en plus imposants
En dix ans, Amazon a bouleversé les habitudes des consommateurs : 91 % des Français connaissent désormais l’entreprise. Ils sont 21,5 millions à avoir acheté au moins un article sur son site internet l’an passé pour un montant total qui dépasse les 6,5 milliards d’euros. Amazon est le premier distributeur de produits non alimentaires en France, le second de produits électroniques. Aucune enseigne ne peut rivaliser. Là où un centre commercial classique propose au maximum 100.000 articles, le cybermarchand peut en offrir 250 millions sur son site, à bas prix et avec une livraison rapide. (...)
Partout, ses chantiers s’intensifient. En France, une nouvelle génération d’entrepôts se construit, de plus en plus imposants. (...)
cette jolie fable nécessite une infrastructure démentielle. Raccourcir de moitié le temps de livraison implique de doubler les surfaces logistiques. Pour réaliser son rêve, Amazon doit donc sans cesse s’agrandir et partir à la conquête de nouveaux territoires. Reporterre a étudié ses méthodes. Un scénario bien rodé, où règne la loi du silence.
Amazon a été vivement prise à partie par le mouvement des Gilets jaunes
L’entreprise ne communique jamais sur ses nouveaux projets et laisse planer le doute sur sa possible installation. À la presse, ses réponses sont toujours laconiques. (...)
L’entreprise ne communique jamais sur ses nouveaux projets et laisse planer le doute sur sa possible installation. À la presse, ses réponses sont toujours laconiques. Quels que soient les sites, elle répète cet élément de langage :
Nous n’avons à ce jour aucune information ou annonce à apporter à ce sujet. Amazon cherche constamment à accroître la taille et la flexibilité de son réseau en Europe pour répondre à la demande des clients. »
Rien de plus. (...)
À chaque fois, la multinationale avance masquée. Elle sous-traite à d’autres entreprises l’achat du foncier, le dépôt du permis de construire et l’édification des bâtiments, qu’elle loue par la suite. Plusieurs sociétés immobilières servent de cheval de Troie. (...)
« En ne donnant pas son vrai nom, l’entreprise évite la contestation sur ses sites en construction », dit Christian Soubra, conseiller municipal dans un village situé à proximité de Brétigny-sur-Orge.
Depuis novembre 2018, Amazon a été vivement prise à partie par le mouvement des Gilets jaunes. On compte pas moins de 16 blocages comme le recense la carte de Reporterre. « Amazon craint la formation de Zad », croit savoir Jérôme Bascher, sénateur Les Républicains (LR) de l’Oise.
En décembre dernier, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes ont d’ailleurs reçu un étrange coup de fil alors qu’ils se mobilisaient contre un projet d’entrepôt logistique à deux pas du bocage rebelle :
Bonjour Monsieur, je suis responsable de communication chez Amazon. Nous cherchons à entrer en contact avec la Zad pour vous assurer que nous n’allons pas installer d’entrepôt logistique à Grandchamps-des-Fontaines. Nous vous serions donc fort reconnaissants de mettre fin à votre campagne de communication à ce sujet. » (...)
Pour ne pas rencontrer de résistance, la multinationale agit donc dans l’ombre. Elle sélectionne aussi les territoires où elle souhaite s’implanter. « Elle cible d’abord des régions paupérisées, abandonnées par l’industrie où elle peut facilement faire du chantage à l’emploi, négocier des avantages fiscaux », remarque Raphaël Pradeau, porte-parole de l’association Attac. (...)
Les territoires sont mis directement en concurrence. Un élu de la métropole d’Amiens le reconnaît :
On a été plus réactifs et plus discrets que d’autres. Nous étions en compétition avec des communes voisines de Roissy et avec l’Allemagne. Mais tout ça, pour nous, restait assez imprécis. On nous demandait juste le silence complet. » (...)
Aujourd’hui, même si le projet logistique d’Amazon est un contre-exemple tant sur le plan social que fiscal, environnemental et sociétal et donc un modèle à combattre fermement, il est certain que s’il ne se fait pas chez nous, il se fera ailleurs, et le territoire perdra les emplois et les recettes fiscales. »
Les élus sont donc prêts à s’agenouiller devant la multinationale. (...)
Accueillir Amazon est perçu comme une source de prestige. (...)
De manière générale, sur chacun de ses sites, la multinationale a demandé aux élus de sortir le chéquier. À Senlis, l’intercommunalité a déboursé plus de 100.000 euros pour améliorer l’accès au site. Le plan local d’urbanisme a aussi dû être modifié extrêmement rapidement, avec l’aval d’un architecte des Bâtiments de France, car, depuis le site logistique, on peut voir la cathédrale de Senlis. (...)
À Brétigny-sur-Orge, Christian Soubra, lui aussi, n’en revient pas :
En 19 ans de mandat, je n’avais jamais vu ça ! Amazon a conditionné le paiement de l’achat des terrains au fait que les voiries d’accès soient totalement réalisées par l’agglomération. La communauté d’agglomération a vendu les parcelles 18 millions d’euros mais doit faire plus de 13 millions d’euros de travaux. »
L’entreprise a aussi bénéficié d’une exonération de la taxe d’aménagement. Elle fixe ses propres règles. Les élus locaux espèrent ensuite un retour sur l’investissement. (...)
À Brétigny-sur-Orge, le nombre d’emplois prévu a baissé de moitié. Amazon recrutera moins d’un millier d’employés au lieu des 2.200 annoncés.
Qu’importe, la multinationale continue son expansion. (...)
Les amis de la Terre : [ACTION EN COURS] Stop à l’expansion d’Amazon !
Depuis ce matin, 390 activistes des Amis de la Terre, ANV-COP21 et des gilets jaunes bloquent l’activité du géant de la vente en ligne Amazon au siège à Paris et sur deux entrepôts à Lille et Toulouse ! La multinationale pille la planète et sabote la justice sociale : ensemble, nous sommes déterminé.e.s à stopper ce modèle, incompatible avec la lutte contre le dérèglement climatique. Amazon pratique l’évasion fiscale et détruit des emplois : en France, elle n’est imposée qu’à hauteur de 0,46% de son chiffre d’affaires. (...)
MOBILISONS-NOUS ET EXIGEONS :
Un moratoire gelant la possibilité d’implanter de nouvelles zones commerciales et entrepôts empirant la surproduction
Un plan ambitieux de réduction des ventes de produits neuf sur 10 ans
La non-destruction des invendus qui peuvent toujours être envoyés directement au recyclage
Le soutien à la réparation et au réemploi.
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