
Comment les jeunes placés gèrent-ils leur passage à l’âge adulte ? Le projet ELAP, première enquête quantitative menée en France sur le sujet, livre des éléments de réponse.
(...) « Le placement dépendant de politiques départementales, il était difficile d’atteindre une représentativité nationale, explique Isabelle Frechon, chercheuse au laboratoire Printemps, chargée de l’ELAP. Notre échantillon représente 27 % des jeunes pris en charge dans la population française, ce qui nous permet de produire des analyses suffisamment poussées. »
Ces jeunes sont pour la plupart issus de familles nombreuses (69 % déclarent avoir trois à sept frères et sœurs). Leur prise en charge par l’ASE résulte de grandes difficultés familiales (pertes des parents, violences, abandons, difficultés économiques). 26 % d’entre eux n’ont plus aucun parent (orphelins, parents jamais connus, absence de liens).
Pour Pascale Breugnot, chercheuse associée au projet ELAP, « cette part d’orphelins [ou d’absence totale de liens] est certainement sous-évaluée si on considère que 9 % des enfants enquêtés n’ont pas souhaité répondre à cette question. Plus généralement, la moitié des jeunes entre 17 et 20 ans disent ne pas avoir de personne relais dans leur entourage en cas de coup dur. Ce sont des jeunes qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes ».
Dans leur ensemble, les jeunes pris en charge sont plutôt des garçons avec toutefois des particularités pour chacune des deux régions. (...)
L’importance des garçons (61 %) en Ile-de-France s’explique par un contingent important de « mineurs isolés étrangers » (MIE). Paris et la Seine-Saint-Denis accueillent depuis plusieurs années une grande part de ces MIE. 47 % d’entre eux disent avoir perdu au moins un de leurs deux parents, 13 % être totalement orphelins.
« L’enquête ne permet pas de savoir s’ils ont fui un pays ou s’il s’agit d’une migration économique, précise Isabelle Frechon. Certains d’entre eux sont arrivés à l’âge de 10 ans, mais dans leur grande majorité, leur arrivée se fait vers 16 ans. Beaucoup de ces jeunes ont connu la rue, plus que les autres. » (...)
Les enfants placés sont « pour beaucoup des jeunes qui ont accumulé de nombreuses lacunes au cours de leur parcours scolaire. Leur prise en charge par l’ASE leur donne donc une chance d’obtenir un diplôme », dit Isabelle Frechon.
En général, les formations courtes sont privilégiées. Ainsi, un tiers des jeunes placés suivant une formation sont inscrits en CAP, contre 5 % dans la population générale. L’enquête montre qu’avec l’âge, le maintien des jeunes en formation s’amenuise. (...)
L’enquête a permis de montrer que près d’un jeune placé sur deux ignore, refuse ou hésite à signer un contrat jeune majeur à la veille de sa majorité. « C’est une aide contractuelle et contraignante, explique Lucy Marquet, maîtresse de conférences au Clersé (Lille-1) et chercheuse associée au projet ELAP. Pour donner un exemple, alors qu’ils accèdent à la majorité, dans le cadre du contrat jeune majeur, ils vont devoir rendre des comptes à l’institution sur la manière dont ils dépensent leur argent, sur leurs horaires d’entrée et de sortie du lieu où ils vivent. Ils auront des interdits qui leur pèsent : ne pas inviter qui ils veulent dans leur logement par exemple. Ils devront continuer une formation même s’ils ne supportent plus l’école depuis de nombreuses années. Donc ceux qui accèdent au contrat jeune majeur ce sont ceux qui se plient à ces règles. » (...)
Selon Isabelle Frechon, « ceux qui sortent du système à 21 ans ont plus de chance d’avoir consolidé un projet professionnel. Ceux qui sortent avant rencontrent plus de difficultés à trouver leur autonomie. En fait, ce n’est pas de l’autonomie. On prépare les jeunes à savoir se débrouiller avec un petit pécule ».
Pour Lucy Marquet, la question du lien social demeure la principale difficulté des jeunes à leur sortie de placement (...)