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Le numérique à l’école, inutile en pédagogie mais bon pour Microsoft
Article mis en ligne le 27 janvier 2017
dernière modification le 23 janvier 2017

Le Plan numérique à l’école, lancé en 2015, promet de « développer les compétences » des élèves dans une société « irriguée par le numérique ». Mais aucune étude ne valide les vertus pédagogiques de cet outil. Microsoft, en revanche, qui a passé un accord fructueux avec le gouvernement français, se frotte les mains.

« Le danger n’est pas dans la multiplication des machines, mais dans le nombre sans cesse croissant d’hommes habitués, dès leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner. » Écrite en 1947 par l’écrivain Georges Bernanos, dans son fameux livre La France contre les robots, cette phrase, qui sonnait comme un simple avertissement au milieu du XXe siècle, apparaît comme prémonitoire aujourd’hui, à l’heure de l’« école numérique ».

Annoncé officiellement par François Hollande le 7 mai 2015, à l’issue de la journée de restitution des résultats de la « concertation nationale sur le numérique pour l’éducation » [1], le Plan numérique à l’école (PNE) vise, selon le ministère de l’Éducation nationale, un triple objectif : former les enseignants et les personnels administratifs ; développer des ressources pédagogiques accessibles en ligne, et financer l’achat d’ordinateurs et de tablettes [2]. Au total, pas moins d’un milliard d’euros seront progressivement dépensés par l’État jusqu’en 2018. (...)

les nouvelles technologies peuvent-elles « sauver » le système scolaire français [4] ? « C’est un sujet compliqué. À l’heure actuelle, il n’y a pas de preuve scientifique qui prouverait l’efficacité des nouvelles technologies dans l’apprentissage des élèves », reconnaît Jean-Yves Capul. Et d’ajouter : « Le numérique ne va pas sauver l’école, mais il permet de lutter contre les inégalités scolaires, culturelles et sociales, et de jouer positivement sur la motivation des élèves. »

En septembre 2015, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publiait la première étude internationale sur « les élèves et les nouvelles technologies » concernant ses 34 pays membres. Résultat ? Si les rapporteurs notent une réduction de la « fracture numérique » — les enfants les plus défavorisés accèdent de plus en plus à un ordinateur —, ils relèvent que l’incidence des nouvelles technologies sur la performance des élèves est « mitigée, dans le meilleur des cas ». [5] (...)

Les auteurs du Désastre de l’école numérique pointent d’autres risques liés au « tout-numérique ». Parmi ces derniers, les risques psychosociaux ne sont pas les moindres. Selon Philippe Bihouix et Karine Mauvilly, les dangers inhérents à l’addiction aux écrans — comme l’enfermement progressif dans le « monde virtuel » et, corollairement, le développement des comportements asociaux — sont bien réels. « L’usage du numérique n’est pas sans conséquence sur la santé psychique et physique », rappelle Philippe Bihouix.

Ces risques sanitaires sont étayés par de plus en plus d’études scientifiques. « Que l’on songe, par exemple, aux émissions d’ondes électromagnétiques des appareils sans fil ou encore aux sollicitations permanentes de ces derniers qui influent sur le cycle du sommeil et sur la capacité de concentration et de réflexion », illustre l’auteur.
« Les logiques managériales en vigueur dans l’entreprise »

Par ailleurs, avec l’exploitation des ressources minérales et métalliques naturelles, la consommation électrique et la construction des infrastructures nécessaires au déploiement des nouvelles technologies (réseaux, data centers, etc.) ainsi que les problèmes liés à l’obsolescence programmée de ces dernières et au recyclage de leurs déchets, l’« école numérique » apparaît aussi comme « un scandale environnemental », pour reprendre l’expression de Philippe Bihouix. (...)

Pour Florent Gouget, professeur de français au collège Joseph-Durand de Montpezat-sous-Bauzon, en Ardèche, l’enseignement numérique tend à « morceler le travail pédagogique en différentes tâches exécutables, et finalement à le déshumaniser. C’est un changement réel et profond pour les enseignants, qui incarnent depuis toujours des savoirs vivants ». Avant de poursuivre : « Cette numérisation va complètement à l’encontre de la vocation première de l’école, qui est de transmettre des connaissances par la relation humaine. Cette relation est partie intégrante de l’apprentissage. »

En définitive, pour Florent Gouget, le PNE ne sert qu’à « appliquer à l’école les logiques managériales en vigueur dans l’entreprise, en valorisant les compétences au détriment des connaissances, lesquelles sont réduites à de simples informations à accumuler ». (...)

Quid, en outre, de l’avenir du métier d’enseignant ? Après être devenus des « ingénieurs pédagogiques », les professeurs disparaîtront-ils à la faveur d’un déferlement technologique décidé à leur insu ? Selon le ministère de l’Éducation nationale, près de 98 % d’entre eux utilisent déjà le numérique au quotidien. « Comme dans la population générale, la majorité des enseignants est passive, attentiste, voire résignée et donc, en définitive, complice », regrette Florent Gouget.

Face au rouleau compresseur politique et institutionnel — mais aussi médiatique —, la marge de manœuvre des « professeurs critiques » s’avère réduite, mais la résistance s’organise pour les plus déterminés d’entre eux. En décembre 2015, une trentaine d’enseignants de collèges et de lycées lançaient l’Appel de Beauchastel contre l’école numérique [8]. Le mot d’ordre ? « Être avec nos élèves, et non servir d’intermédiaires entre eux et les machines » et, surtout, « enseigner, et non exécuter des procédures ». « Nous appelons tous les personnels des établissements d’enseignement déjà réticents à faire connaître leurs raisons et à signer cet appel », écrivent-ils encore. (...)

« Nous devrions chercher, dès maintenant, à sortir d’un monde qui nous opprime, et à créer, à la marge, mais aussi — c’est fondamental, car le combat n’est pas perdu — au cœur même des institutions, quelles qu’elles soient, tout ce qui permettra de ne pas sauver ce système qui nous broie. Nous devrions aussi développer les utopies et les modes de faire qui nous permettront, le plus vite possible, de nous passer définitivement des algorithmes, du web, des ordinateurs, comme du nucléaire, des OGM, etc. Et enfin, nous devrions trouver, retrouver ou continuer la vie humaine, et la lutte vers l’émancipation. »