
Le premier rapport des experts mondiaux sur la biodiversité l’a confirmé : il y a alerte pour les insectes pollinisateurs. Plusieurs facteurs sont responsables de cette décimation, mais le principal est bien connu : les néonicotinoïdes. Pourtant, devant la puissance des lobbys, les pouvoirs publics n’agissent pas.
« Si l’abeille disparaissait du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. » Cette phrase, attribuée à Albert Einstein, résonne aujourd’hui comme une douloureuse prémonition. Abeilles, papillons et autres insectes pollinisateurs tombent comme des mouches, victimes d’une agriculture intensive et d’une urbanisation effrénée.
« Un nombre croissant d’espèces pollinisatrices sont menacées d’extinction par différentes pressions, la plupart d’origine humaine », conclut ainsi le premier rapport des experts internationaux sur la biodiversité (Ipbes (acronyme anglais pour Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques), publié vendredi 26 février, au terme de sa réunion en Malaisie. De l’Asie à l’Amérique du Nord, les constats s’accumulent. Dans certaines régions chinoises, faute d’insectes, les paysans pollinisent manuellement les arbres fruitiers. Au printemps 2015, d’après l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), les apiculteurs ont perdu « entre 30 % et 50 % de leurs colonies ». La situation des pollinisateurs sauvages n’est pas plus rose : bourdons, scarabées, papillons disparaissent peu à peu de nos campagnes.
Un tiers du marché mondial des pesticides
Des insectes pourtant essentiels à la bonne santé des écosystèmes - et de l’agriculture -, parce qu’ils permettent la reproduction des plantes à fleurs. « Au niveau mondial, plus des trois quarts des cultures dépendent d’espèces pollinisatrices », souligne le rapport de l’Ipbes, qui valorise ce service entre « 235 milliards et 577 milliards de dollars annuels ». Une étude internationale publiée en janvier dans le magazine Science démontre que le nombre et la diversité de ces insectes « affectent directement le rendement des cultures de plus de 20 % en moyenne ». De la préservation de nos amis butineurs dépend donc notre sécurité alimentaire.
Un déclin aux multiples causes, d’après Robert Watson, vice-président de l’Ipbes : changement de l’usage des terres, agriculture intensive, pesticides, espèces invasives, maladies et parasites, sans oublier le changement climatique. Mais pour Jean-Marc Bonmatin, chercheur en biophysique moléculaire au CNRS, le principal responsable se cache derrière un nom bien tordu : néonicotinoïde. (...)
Les études s’empilent sur le sujet. Au niveau mondial, des scientifiques se sont réunis pour mettre en commun leurs connaissances au sein de la Task Force on Systemic Pesticides. Le dernier rapport de l’Agence française de santé (Anses), paru en janvier, rappelle que « l’utilisation des néonicotinoïdes entraîne de sévères effets négatifs sur les espèces pollinisatrices ».
Des lobbys discrets et efficaces à la manœuvre
Un drame se déroule sous nos yeux, les criminels sont connus et pourtant… la police ne fait rien. Depuis 2013, un moratoire européen restreint l’usage de trois des sept néonicotinoïdes commercialisés. Gaucho, Régent, Poncho ou Cruiser sont ainsi bannis de nos champs. « Mais cette interdiction est partielle et largement insuffisante », insiste Nicolas Laarman, directeur général de Pollinis. L’association remettra début mars aux eurodéputés une pétition de plus d’un million de signatures pour demander une interdiction totale des néonicotinoïdes. (...)
Si les autorités rechignent à légiférer sur des produits qui menacent l’équilibre même de notre planète, c’est que des lobbys discrets et efficaces manœuvrent. Bayer, Syngenta, Monsanto… Les industries de l’agrochimie comptent parmi les plus puissantes multinationales du monde. Déjeuners réguliers avec les décideurs, campagnes de communication massives, financements d’études scientifiques « ciblées »… Elles ne lésinent pas sur les moyens. (...)
Pourtant, d’autres solutions existent, sans pesticide. L’agriculture biologique progresse : en 2015, elle représente 1,31 million d’hectares de terres en France, soit 17 % de plus par rapport à 2014. Reporterre a consacré une série d’articles l’an dernier à toutes ces solutions. Reste aux décideurs à prendre le relais, car seule des mesures politiques d’envergure pourront enrayer la disparition des pollinisateurs.