
Entretien avec Leoluca Orlando, maire de Palerme, dont la ville est l’une des principales portes d’entrée de l’Europe pour les migrants africains.
Leoluca Orlando, membre du parti Rivoluzione civile (centre-gauche), maire de Palerme à trois reprises (1980-1985, 1993-2000 et depuis 2013), est l’un des principaux personnages de la sphère politique sicilienne. Député à plusieurs reprises au Parlement italien, puis européen, il s’est fait remarquer dans les années 2000 pour son engagement dans la lutte contre la mafia. Aujourd’hui, alors que la Sicile est l’une des principales portes d’entrée des migrants en Europe, il a fait de leur cause son nouveau cheval de bataille. Il sera à paris, mercredi 12 octobre, pour participer au colloque de rentrée du Collège de France sur le thème « Migrations, réfugiés, exil ». (...)
Leoluca Orlando J’estime et j’affirme que tous les résidents de la ville de Palerme sont Palermitains. Il n’y a pas de différence entre les Palermitains qui sont nés à Palerme et ceux qui y arrivent, et c’est pour ça qu’il faudrait abolir le permis de séjour. Ce permis de séjour est la peine de mort de notre temps, c’est une nouvelle forme d’esclavage pour les gens qui arrivent. (...)
Je suis convaincu que la mobilité internationale est un droit humain. Une personne ne peut pas mourir car un pays refuse de l’accueillir. C’est pour cette raison que nous avons adopté la Charte de Palerme et que nous avons créé le Conseil de la culture, qui est le seul dans le monde à représenter les migrants politiquement. Les membres de ce conseil sont démocratiquement élus par les migrants, ils sont 21 membres, dont 9 femmes. Je ne crois pas qu’on puisse parler de ces proportions au Parlement français, ni au Parlement italien !
Estimez-vous que l’Europe en fait assez pour les migrants ?
Non. Nous n’avons pas d’autre alternative que d’accueillir les migrants. Les gens qui me disent « Vous êtes fou ! », je leur réponds : « Non, je ne suis pas fou, je pense au futur ! » (...)
Il n’y a pas d’intolérance et de racisme à Palerme, et vous ne me le ferez pas dire. Nous avons un problème économique, certes, mais comme partout. C’est un problème pour les Palermitains comme pour les gens qui viennent d’ailleurs. Je crois que la grande puissance de l’expérience palermitaine est que tout le monde a le même problème, tout le monde est logé à la même enseigne.
Ballaro, un quartier de Palerme, est souvent montré comme un exemple de cette mixité sociale dont la ville se réclame.
Ballaro, c’est l’endroit où des marchands issus de l’immigration ont fait arrêter des mafiosi palermitains. Voilà. (Rires). Est-il possible ensuite de parler contre les migrants ? Je ne crois pas. (...)
Les musulmans qui vivent en banlieue parisienne parlent-ils avec leur maire ? Est-ce qu’il les intègre dans une représentation politique ? C’est la marginalisation, l’ostracisme, qui sont un problème. Chaque fois que les gens sont tentés de faire une distinction entre les migrants et les Palermitains, je leur réponds qu’il faut garder à l’esprit que les migrants ne votent pas. Nous sommes dans une dimension utilitariste de ces gens, il faut que la politique européenne comprenne que cet utilitarisme est en contradiction totale avec le respect des droits humains. (...)
Mais Ballaro, par exemple, c’est aussi le repaire d’une nouvelle mafia nigériane…
Oui, et c’est la preuve qu’il n’y a pas de différence entre les Palermitains et les Nigérians ! Il y a des Nigérians mafiosi, il y a des Nigérians bons citoyens. C’est pareil pour les Palermitains. Il ne serait pas normal de n’avoir que des Nigérians bons citoyens, et que des Palermitains criminels (rires). La grande chance de Palerme est sa normalité. Palerme est devenue une ville normale, sans sa mesquinerie politique d’autrefois.
Qu’est-ce qui manque pour que l’accueil des migrants soit efficace ?
Il manque la normalité des migrations, partout. (...)
Aujourd’hui, je dis que j’ai honte d’être européen, quand on voit le sort qui est fait aux migrants. Je suis européen mais, dans les valeurs migratoires, je suis surtout palermitain. Nous sommes responsables d’un génocide en mer Méditerranée. Nos petits-fils nous diront qu’on a tué des milliers de personnes. Et nous ne pourrons pas dire que l’on ne savait pas. (...)
C’est parce que je suis fier d’être européen que je me permets de mal parler de l’Europe quand elle fait des erreurs. Mon premier ennemi est celui qui a la même identité que moi. Mon ennemi, ce n’est pas l’imam rigoriste qui soutient les terroristes, mon ennemi, avant lui, c’est le cardinal catholique qui soutient les mafiosi.
Quel regard portez-vous sur l’accueil des migrants en France ?
Aujourd’hui, en France, les migrants ne pensent pas avoir trouvé leur nouvelle maison. Il y a un vrai problème, car, si je ne pense pas être chez moi, pourquoi me lèverai-je pour défendre une maison qui n’est pas la mienne ? Je ne défends pas la maison où je pense qu’il ne m’est pas possible de vivre, je ne défends pas la maison de mon ennemi. Je pense que c’est la situation dans laquelle est bloquée la France. Je ne comprends pas pourquoi la France a changé. Parlez mal de Palerme, de sa mafia, mais en même temps, s’il vous plaît, parlez mal de la France ! Une Europe des droits ne peut pas exister sans la France, il faut que la France change de position sur les migrants. (...)
comment peut-on penser pouvoir vivre dans un monde qu’on dit globalisé sans une mobilité des êtres humains ? Les migrants ont donné un visage à la globalisation, parfois tristes, parfois heureux, mais ils ont donné un visage. Avant, la globalisation était égoïste, financière. Aujourd’hui, il faut remercier les migrants pour avoir donné un visage à cette globalisation.