
Le régime Assad, premier responsable des ravages infligés à la Syrie et à sa population, s’efforce avec constance de devenir le principal bénéficiaire de la « reconstruction ».
Le bilan humain de six années et demi de conflit en Syrie donne tout simplement le vertige : sans doute un demi-million de morts pour 22 millions de Syriens, dont plus de la moitié ont été contraints de quitter leurs foyers, soit pour se déplacer ailleurs en Syrie, soit pour se réfugier à l’étranger. La Banque mondiale estime le coût des destructions cumulées à quatre fois l’équivalent du Produit intérieur brut (PIB) de la Syrie en 2010. Les pertes infligées au parc de logements sont terribles, mais encore plus effarantes s’agissant des institutions de santé et d’éducation, systématiquement visées. Deux Syriens sur trois vivent désormais sous la ligne d’extrême pauvreté. Mais des profiteurs de guerre ont accumulé des fortunes impressionnantes en reconfigurant la carte de la Syrie au service du régime Assad.
DETRUIRE, EXPULSER ET OCCUPER
Le rouleau compresseur de la dictature syrienne a partout opéré avec la même impitoyable simplicité. Les destructions infligées méthodiquement visaient à terroriser la population des zones sous contrôle révolutionnaire pour les contraindre à fuir. La population demeurée malgré tout sur place était ensuite assiégée, voire affamée, afin de pousser les milices insurgées à capituler. Ces accords de reddition s’accompagnaient généralement de l’évacuation des combattants vaincus, mais aussi d’une part importante des civils survivants. Ce processus à l’œuvre dans la vieille ville de Homs, tombée en mai 2014, a été poursuivi dans plusieurs banlieues insurgées de Damas, puis couronné par la reconquête gouvernementale d’Alep-Est en décembre 2016.
La contribution de l’aviation russe et, au sol, des milices pro-iraniennes a été déterminante dans ces processus qui ont partout conduit à la « libération » de champs de ruines et à des transferts importants de populations. Les offensives proprement dites ont permis d’intensifier et de systématiser des campagnes de démolition menées depuis 2012, au bulldozer et à l’explosif, contre des quartiers entiers associés à la contestation anti-Assad. Les opérations militaires ont ainsi amplifié une stratégie de longue haleine se déclinant selon le triptyque de la destruction, de l’expulsion et de l’occupation. Il en découle une profonde recomposition de la carte démographique de la Syrie, sur la base de déplacements massifs de populations, mais aussi de transfert tout aussi massif des titres de propriété.
L’ENJEU DU CADASTRE
Une des principales sources de transfert de propriété sous la contrainte a été la fuite de millions de réfugiés syriens à l’étranger. Leurs biens ont souvent été liquidés dans l’urgence pour faciliter le paiement des passages et la subsistance en exil. Tout un réseau de profiteurs a pu ainsi prospérer en étroite collaboration avec les différents services de « sécurité » du régime Assad, intermédiaires obligés pour l’obtention d’un passeport ou la dispense des obligations militaires. Ces cercles de prédateurs se sont élargis aux alliés étrangers de la dictature Assad, avant tout l’Iran et les milices sous son contrôle. (...)
La crainte de falsification des titres et de destruction des documents est d’autant plus forte que, en Syrie, près de la moitié des terres ne sont pas dûment enregistrées. A supposer que les réfugiés et les déplacés veuillent un jour retourner dans leurs foyers, tout est fait pour leur interdire de faire valoir leurs droits. « Reconstruction » rime alors trop bien avec « épuration ». (...)