
La Lettre à une enseignante des enfants de Barbiana de 1967 commence ainsi :
« Chère Madame,
Vous ne vous rappellerez même pas mon nom. Il est vrai que vous en avez tant recalés. Moi, par contre, j’ai souvent repensé à vous, à vos collègues, à cette institution que vous appelez l’« école », et à tous les jeunes que vous « rejetez ». Vous nous rejetez dans les champs et à l’usine, puis vous nous oubliez.
Il y a deux ans, en première année de l’École normale, vous m’intimidiez. Du reste, la timidité m’a suivi toute la vie. Gamin, je ne levais pas les yeux de terre. Je frôlais les murs pour qu’on ne me voie pas. J’ai d’abord pensé que c’était une maladie que j’avais, ou que peut-être ça tenait de ma famille. Il faut dire que ma mère est de ces femmes qu’intimide un formulaire de télégramme. Mon père observe, écoute, mais sans parler. Plus tard, j’ai cru que la timidité était un mal des montagnards. Les paysans de la plaine m’avaient l’air sûrs d’eux. Les ouvriers, n’en parlons pas. Mais je me suis aperçu que les ouvriers laissent aux fils à papa tous les postes de commande dans les partis et tous les sièges au parlement. C’est donc qu’ils sont comme nous. Et que la timidité des pauvres est un mystère qui remonte à loin. »
Cette rage se termine après une centaine de pages par « Maintenant, on attend une réponse ».
Vous comprendrez facilement pourquoi j’écris cela, alors que je quitte le plus grand lycée professionnel de France, âme palpitante des enfants des quartiers populaires de l’Hérault, pour un lycée professionnel au cœur… des quartiers populaires de Montpellier. Au moment où une révolte populaire éclate, réprimée par les coups physiques, politiques et médiatiques.
Le texte est très violent, aucune flamme physique, mais un feu très violent dans les mots. Cette rage exprime, en 1967, celle des recalé·es du système et, dans leur lettre, elles et ils n’attendent pas l’ouverture de négociations, elles et ils posent leurs conditions et exigent des réponses. Car que négocier avec un système qui, structurellement, organise leur relégation ?
La rage de 2023 des enfants des quartiers populaires est violente. Comme en 1967, elle exprime celle des recalé·es du système et… elles et ils n’attendent pas l’ouverture de négociations, elles et ils posent leurs conditions et exigent des réponses ! (...)
« Maintenant, on attend une réponse » car « l’école vaudra toujours mieux que de la merde. Cette phrase, il faudra la sculpter sur la porte de vos écoles. Des millions de jeunes paysans sont prêts à y souscrire. C’est vous qui dites que les jeunes détestent l’école et qu’il préfèrent s’amuser. Nous, paysans, vous ne nous avez pas consultés. Mais on est un milliard neuf cent millions. Il y a six jeunes sur dix qui pensent la même chose que Lucio. Les quatre autres, on ne sait pas. Toute votre culture se fait de cette manière. Comme si le monde, c’est vous. »
Les enfants de Barbiana
Spero Susanna
Paolo pasolini Pier
De Cock Laurence
Thurlotte Michel (Traducteur)
Agone (19/08/2022)