
Si brûler tontes de gazons, pailles, branches et feuilles mortes peut paraître bénin, les fumées de ces déchets verts qui se combinent avec celles issues d’autres sources de pollution, constituent un cocktail toxique pour les poumons. Un phénomène encore pris à la légère par les autorités.
Une épaisse fumée noire stagne au-dessus de la vallée du Rhône. En cette matinée du 8 avril, le mercure est descendu jusqu’à −7 °C et l’air est irrespirable. Témoignage de la bataille perdue par les arboriculteurs et les viticulteurs contre le gel. Pour réchauffer l’air et sauver les bourgeons — développés prématurément en raison de températures proches des 25 °C une semaine plus tôt — les producteurs ont brûlé de la paille et allumé des torches au pied des vergers. Si la technique n’est pas nouvelle, son ampleur a provoqué un important pic de pollution, des plaines viticoles du Vaucluse jusqu’au centre-ville de Lyon.
La concentration des polluants était telle que les capteurs d’AtmoSud, association mandatée par l’État pour contrôler la qualité de l’air de la région Paca (Provence-Alpes-Côte d’Azur), ont disjoncté. (...)
Si la catastrophe vécue par le monde agricole a mis en lumière les effets du changement climatique, elle a aussi démontré une réalité largement occultée : les lourdes conséquences du brûlage des déchets verts sur la qualité de l’air et la santé. En effet, la combustion de végétaux encore humides, qualifiée de « peu performante », rejette une grande quantité de particules dans l’atmosphère (...)
Une pollution équivalente à des milliers de kilomètres en voiture
Les feux de cheminée provoquent aussi des effets sur la qualité de l’air, mais avec un bon insert et un bois bien sec, « on peut diviser, par cent, voire mille, les effets sur la qualité de l’air par rapport à des foyers ouverts », dit Stéphane Castel, qui indique que brûler 50 kg de déchets verts humides à l’air libre émet autant de particules qu’une voiture à moteur diesel moderne qui parcourt 13 000 km. (...)
une fois émises, les particules polluantes peuvent en former d’autres par « réactions physicochimiques et photochimiques » et participer ainsi à la formation de pluies acides, à l’augmentation des nitrates dans le sol, ou encore à l’émission de gaz à effet de serre tel que le méthane (CH4). Le rapport affirme que les effets de ces fumées sur la santé sont similaires à ceux provoqués par les produits pétroliers « tant dans la nature que dans la fréquence des troubles engendrés (affection respiratoire, cancer du poumon) ». (...)
L’observateur de la qualité de l’air, Stéphane Castel, se dit encore surpris par la méconnaissance du public à propos de cette source de pollution. « Brûler du bois qui n’est pas sec, ce n’est pas inoffensif », répète-t-il. « Les particules fines PM10 et PM2,5 qui sont produites peuvent pénétrer dans l’organisme et favoriser les inflammations des poumons. Dans certaines études épidémiologiques, on en retrouve même dans le cerveau, le foie et le sang des personnes contaminées », alerte-t-il. (...)
Si l’utilisation du gasoil est interdite contrairement à l’emploi de « bougies » à base de paraffine, il n’en demeure pas moins qu’une tolérance existe de la part des préfectures vis-à-vis de telles pratiques. Ce que dénonce l’association France Nature Environnement (FNE) (...)
Dans les Pyrénées, une autre pratique d’ampleur s’ajoute à celle du brûlage des déchets verts : les fumées issues de l’écobuage. Cette tradition, subventionnée par la politique agricole commune, consistant à brûler fougères, ronces, bruyères, pour maintenir « ouverts » les paysages et permettre aux troupeaux de paître en été, provoque une concentration de fumées dans les vallées. Dans des zones rurales où les habitants se chauffent principalement au bois, une telle pratique a un effet cumulatif, selon Cécile Argentin, également présidente de FNE65. (...)
L’association remet en cause l’utilité des écobuages, en raison des risques d’incendie et de l’acidification des sols qu’ils provoquent. FNE65 travaille avec la préfecture pour faire modifier l’arrêté préfectoral en vigueur et espère étaler au maximum la pratique de l’écobuage pour éviter une trop forte concentration des fumées dans l’air. (...)
Cernés par d’épaisses fumées blanches, les riverains ont du mal à concevoir qu’ils ne peuvent plus brûler les quelques branches de leur jardin. « Cela anéantit les efforts de pédagogie que l’on peut faire sur les déchets verts », s’exaspère Cécile Argentin. Un certain « effet mouton de Panurge » a ainsi été observé dans l’arrière-pays niçois par AtmoSud. (...)
Les liens entre la pollution du quotidien et les problèmes de santé qu’elle engendre sont minimisés, selon Cécile Argentin (...)
Il y a une espèce d’accord tacite, les gens se disent : “Oui, c’est pollué, mais on vit quand même après tout.” C’est difficile de faire évoluer la culture là-dessus ». Cécile Argentin trouve aberrant que l’État et les agences régionales de santé ou encore les maires, ne se saisissent pas plus de cette problématique de santé publique. (...)
Pourtant, selon Santé Publique France, 40 000 morts seraient attribuables à une exposition des personnes aux particules fines. Plus récemment, les recherches menées par l’université de Harvard, publiées dans la revue Environmental Research, portent ce nombre à 97 242 décès, soit 17 % des décès annuels en France. Des chiffres proches de la mortalité due au Covid-19 dans l’Hexagone. (...)