
Profitant de l’examen de la loi « confiance dans l’institution judiciaire », la droite sénatoriale a fait passer un amendement assouplissant le délit de « prise illégale d’intérêts ». Le gouvernement, empêtré dans l’affaire Dupond-Moretti, n’a pas moufté.
"Article 10 bis… adopté." Sans la moindre protestation, le Sénat a voté, mercredi soir, une nouvelle disposition visant à assouplir le délit de « prise illégale d’intérêts » dans le cadre de l’examen du projet de loi « confiance dans l’institution judiciaire », porté par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.
L’amendement, ayant pour objectif de rassurer les élus locaux (électeurs des sénateurs), est passé comme une lettre à la poste, les oppositions et le gouvernement ne cherchant pas à déposer d’amendements de suppression. La mesure n’avait pas fait plus débat en commission, où elle avait aussi été soutenue dans un consensus quasi général.
Présenté par les deux co-rapporteurs Les Républicains (LR), Agnès Canayer (Seine-Maritime) et Philippe Bonnecarrère (Tarn), le nouvel article vise notamment à restreindre le champ de l’article 432-12 du Code pénal, traduction juridique du conflit d’intérêts, qui punit actuellement tout élu ou agent public qui prendrait une décision en lien avec une entreprise ou une opération pour laquelle il aurait un « intérêt quelconque ».
Or la définition d’« intérêt quelconque » est considérée comme trop large par plusieurs associations d’élus locaux, à commencer par l’Association des maires de France (AMF), mais aussi par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). (...)
En mai, en présentant le rapport d’activité 2020 de la HATVP, le président Didier Migaud avait en effet exprimé publiquement sa volonté de préciser la définition de la prise illégale d’intérêts, dont il estime le « champ d’application potentiellement très large ». Ce « constat [a été] exprimé dès 2011 par la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique qui constatait “[s]a portée extensive”, notamment au regard de la notion centrale “d’intérêt quelconque” », expliquait Didier Migaud, en proposant de substituer à l’expression « intérêt quelconque », « un intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de la personne ». Proposition ayant été reprise par les sénateurs.
La HATVP se montre particulièrement soucieuse de la situation des élus locaux qui siègent « ès qualités » au sein d’un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), de sociétés d’économie mixte (SEM) ou de sociétés publiques locales (SPL), et qui pourraient se retrouver en difficulté au regard de la loi actuelle s’ils participaient, au sein de leur conseil municipal par exemple, à des décisions portant sur ces organismes.
Mais les intentions sénatoriales semblent toutefois aller plus loin que cette seule préoccupation. Ainsi, en commission des lois, le rapporteur Philippe Bonnecarrère a listé, parmi les exemples de poursuites qu’il considère comme excessives, le cas de la condamnation d’un maire ayant participé à l’octroi d’un marché public à un ami. (...)
Lors de l’examen en commission, seule la sénatrice PS de Paris Marie-Pierre de la Gontrie s’est montrée « plutôt réservée » à l’égard d’une évolution de la loi, en rappelant qu’il s’agit tout de même d’un « sujet extrêmement délicat ». (...)
Aucune autre voix ne s’est élevée contre le texte, même pour inviter à la prudence, malgré l’envoi, à tous les sénateurs, par l’ONG Transparency International France, d’une note rappelant que « la prise illégale d’intérêts est un “délit-obstacle” qui vise autant à sanctionner qu’à empêcher des situations de conflit d’intérêts néfastes pour l’image des institutions publiques ».
L’amendement sénatorial vise « à traiter les symptômes plutôt que l’origine du mal, qui est le manque de formation en matière de déontologie », dénonce Kévin Gernier, chargé de plaidoyer à Transparency International France, auprès de Mediapart. « Trop souvent on a des élus qui ne connaissent même pas l’existence de ce délit de prise illégale d’intérêts et qui, du coup, ne vont pas prendre les dispositions nécessaires pour s’en prémunir », estime-t-il, tout en rappelant que la « formation a progressé depuis la loi [de moralisation] de 2013 et la définition juridique du conflit d’intérêts ».
L’incertitude demeure sur l’impact réel du texte, s’il est définitivement adopté en commission mixte paritaire (...)
Le militant de Transparency International France relève qu’une « ombre » plane au-dessus du texte avec « la mise en examen du garde des Sceaux pour prise illégale d’intérêts ». « Nous sommes dans une situation assez inédite d’un ministre mis en examen sur un délit qu’on va assouplir au Parlement », insiste-t-il. (...)
les co-rapporteurs ont fait le choix de lier dans le même amendement la nécessité d’assouplir le délit pour les élus et de mieux réprimer les magistrats, qui sont justement régulièrement attaqués par Éric Dupond-Moretti et son entourage, y compris sur des sujets de prétendus conflits d’intérêts dans les poursuites engagées à l’encontre du ministre. (...)
Le vote du Sénat a aussi confirmé des dispositions affaiblissant la lutte anticorruption sur d’autres points clés du texte. Comme le souhaitait le gouvernement, la chambre haute a limité mardi soir la durée des enquêtes préliminaires, menées sous l’autorité des procureurs : celles-ci devront être bouclées en deux ans, voire trois au maximum. Au terme de ce délai, il faudra que le parquet classe l’affaire, poursuive les suspects ou ouvre une information judiciaire, confiée à un juge d’instruction.
Seules les enquêtes préliminaires portant sur des faits de terrorisme, de criminalité organisée et de corruption internationale pourront durer jusqu’à cinq ans. La commission des lois du Sénat voulait ajouter à cette liste les délits de fraude fiscale et de blanchiment, nécessitant eux aussi des investigations longues et des actes d’enquête à l’étranger. Elle n’a pas obtenu gain de cause.
« Si vous limitez à deux ans, il n’est pas possible de traiter ces dossiers, noyau dur de la délinquance financière », a insisté Philippe Bonnecarrère, insistant sur la « complexité » des affaires de fraude fiscale et la pénurie d’enquêteurs spécialisés. « Si on fait une succession d’exceptions, alors la règle est obsolète », a maintenu le garde des Sceaux, tirant argument d’un courrier rédigé par le procureur national financier, Jean-François Bohnert.
Lors des débats, Éric Dupond-Moretti s’est emporté contre les enquêtes préliminaires trop longues, une « corruption du système », qui s’accompagnent selon lui de « feuilletonnages médiatiques insupportables où l’on crève la réputation d’un homme sans qu’il puisse avoir accès à son dossier ». Dans le même esprit, le projet de loi prévoit qu’en cas de révélations de presse, la personne visée par une enquête préliminaire puisse consulter la procédure. Le texte aggrave également les peines encourues en cas de violation du secret de l’enquête. (...)
Le vote du Sénat a aussi confirmé des dispositions affaiblissant la lutte anticorruption sur d’autres points clés du texte. Comme le souhaitait le gouvernement, la chambre haute a limité mardi soir la durée des enquêtes préliminaires, menées sous l’autorité des procureurs : celles-ci devront être bouclées en deux ans, voire trois au maximum. Au terme de ce délai, il faudra que le parquet classe l’affaire, poursuive les suspects ou ouvre une information judiciaire, confiée à un juge d’instruction.
Seules les enquêtes préliminaires portant sur des faits de terrorisme, de criminalité organisée et de corruption internationale pourront durer jusqu’à cinq ans. La commission des lois du Sénat voulait ajouter à cette liste les délits de fraude fiscale et de blanchiment, nécessitant eux aussi des investigations longues et des actes d’enquête à l’étranger. Elle n’a pas obtenu gain de cause.
« Si vous limitez à deux ans, il n’est pas possible de traiter ces dossiers, noyau dur de la délinquance financière », a insisté Philippe Bonnecarrère, insistant sur la « complexité » des affaires de fraude fiscale et la pénurie d’enquêteurs spécialisés. « Si on fait une succession d’exceptions, alors la règle est obsolète », a maintenu le garde des Sceaux, tirant argument d’un courrier rédigé par le procureur national financier, Jean-François Bohnert.
Lors des débats, Éric Dupond-Moretti s’est emporté contre les enquêtes préliminaires trop longues, une « corruption du système », qui s’accompagnent selon lui de « feuilletonnages médiatiques insupportables où l’on crève la réputation d’un homme sans qu’il puisse avoir accès à son dossier ». Dans le même esprit, le projet de loi prévoit qu’en cas de révélations de presse, la personne visée par une enquête préliminaire puisse consulter la procédure. Le texte aggrave également les peines encourues en cas de violation du secret de l’enquête.
Concernant le secret professionnel des avocats dans leurs activités de conseil, le Sénat est revenu sur la version de l’Assemblée nationale : il ne sera pas opposable « en matière de fraude fiscale, de corruption et de trafic d’influence, ainsi que de blanchiment de ce délit ». Au grand dam de certains sénateurs, parfois avocats eux-mêmes, plaidant pour un secret absolu. (...)