
Il y a un an, le Ceta était ratifié, soulevant l’ire, entre autres, des écologistes. « Le chapitre sur l’environnement n’a qu’une fonction ornementale, puisqu’il n’est pas contraignant », soulignent les auteurs de cette tribune, qui rappellent que lutter contre le dérèglement climatique, c’est sortir des accords de libre-échange climaticides. (...)
La crise du Covid-19 a jeté un nouveau discrédit sur le commerce international dominé par les accords de libre-échange. Loin de nous protéger, la dérégulation des marchés nous expose à des aléas incontrôlables et fragilisent nos facultés politiques de résilience quand une crise survient. Pire : elle accroît les périls potentiellement définitifs que sont l’extinction de la biodiversité et le dérèglement climatique en cours, en plaçant les ressources naturelles sous l’égide de la raison déraisonnable du capital.
Le bain révélateur de la crise sanitaire a permis d’accélérer la prise de conscience des Français·es : une large majorité de la population se prononce désormais en faveur de la relocalisation et du protectionnisme économique, et remet en cause le productivisme et la recherche perpétuelle de rentabilité. Emmanuel Macron lui-même s’est ému des faiblesses structurelles de la mondialisation pendant le confinement, parlant de la fin d’un cycle. Son gouvernement ne cesse désormais d’épiloguer, à l’instar de la Commission européenne, sur « l’autonomie stratégique ».
Plus intéressant encore, Emmanuel Macron s’est empressé de lier, dans ses grandes envolées critiques d’homme d’État en pleine réinvention, mondialisation et « affaiblissement de la démocratie ».
S’il est un objet politique susceptible de jauger la sincérité des paroles parfois légères du président de la République, c’est l’accord de libre-échange avec le Canada, le fameux Ceta.
Le Ceta place les intérêts des multinationales au-dessus de celui des peuples et du législateur
En cours d’application provisoire depuis 2017, le Ceta pose effectivement, en lui-même, un problème grave à la démocratie. En premier lieu, parce qu’il permet de placer les intérêts des multinationales au-dessus de celui des peuples et du législateur, puisque le texte, notamment par l’intermédiaire des tribunaux d’arbitrage, permet aux investisseurs d’attaquer les États dont les évolutions législatives viendraient déstabiliser leurs intérêts, notamment par de nouvelles contraintes sociales et environnementales. En second lieu, parce que le chapitre sur l’environnement n’a qu’une fonction ornementale, puisqu’il n’est pas contraignant. Au final, ce texte vient couronner l’ingérence des intérêts privés dans la fabrique de la loi.
Mais le processus de ratification et le positionnement d’Emmanuel Macron sur l’adoption de ce texte posent également de graves problèmes démocratiques, précisément.
D’abord, Emmanuel Macron s’était engagé à ne plus signer d’accord commercial avec les pays ne respectant pas l’Accord de Paris. Pas de chance : c’est précisément le cas du Canada, qui émet trop de gaz à effet de serre [1]
Il s’agissait également de ne pas promouvoir de traité nocif au climat. Pas de chance : en parallèle du Ceta, nos importations de « pétrole sale » (issu de sables bitumineux) ont bondi.
Il s’agissait également de mettre en place une évaluation du Ceta au regard des impératifs climatiques : pas de chance, la commission Schubert, mandatée à cet effet, a pointé dans ses conclusions le « manque d’ambition » environnementale de l’accord. Pour calmer les esprits, il a en effet ensuite été question d’un « veto climatique » soit-disant prévu par l’accord : pas de chance, ça n’en est pas un, puisqu’en réalité aucune procédure ne permet aux États attaqués par les investisseurs d’opposer une fin de non-recevoir unilatérale. L’une des juristes de la commission Schubert a d’ailleurs remis en cause publiquement la qualité des garanties apportées par le texte sur ce point crucial.
(...)
Nous ne cesserons plus de confronter les marcheurs au gouffre vertigineux entre les discours et leurs actes
(...)
Le jour de la ratification par la chambre basse, l’activiste du climat Greta Thunberg, invitée par les marcheurs, sermonnait l’Hémicycle, comme une mise en abyme inspirée : « Le pire, c’est de faire semblant. »
Mais depuis, les choses ont (encore) changé, n’est-ce pas ? L’état d’urgence climatique a été promulgué dans la loi, une convention citoyenne pour le climat a été mise sur pied pour proposer un ensemble de mesures destinées à être reprises « sans filtre » par un Président changé par la crise. D’ailleurs, parmi les mesures structurantes proposées par la Convention figure précisément l’abandon du Ceta.
(...)
Oui, mais non. Emmanuel Macron a opposé une fin de non-recevoir à cette demande, renvoyant le problème à une énième évaluation. Le Ceta continue, lui, de s’appliquer indéfiniment provisoirement. Leur monde d’après est pavé de bonnes intentions.
C’est pourquoi en cette date d’anniversaire de la ratification du Ceta par l’Assemblée nationale, nous rappelons le bloc majoritaire à sa vérité, l’hypocrisie, comme à ses responsabilités, une lutte intransigeante contre le dérèglement climatique, la défense des droits des citoyen·nes face aux multinationales, la santé de chacun·e. Et nous ne cesserons plus de confronter les marcheurs au gouffre vertigineux entre les discours et leurs actes, entre les impératifs et leurs renoncements, entre les attentes et leurs désaveux... Face à la mauvaise foi érigée en ligne politique, il en va de notre devoir démocratique.