
A intervalles réguliers, et depuis plus de trente ans, des appels pressants à « refaire la ville » ou à « refaire ville » se font entendre [1] . Face à ces appels, on assisterait plutôt, impuissants, à une construction politique de l’espace en France où les zones périphériques, les marges des grandes villes et en particulier celles situées autour de Paris, seraient laissées de côté. À l’échelle planétaire, les métamorphoses de la ville sont portées par l’émergence des méga-villes, la métropolisation et les bulles immobilières, phénomènes qui rendent parfois la ville inhabitable dans des conditions décentes pour la majorité.
Si les villes restent le lieu central d’accumulation des richesses, elles sont également les lieux où la crise environnementale et les problèmes de mobilité mettent à l’épreuve les citadins de façon inédite. Les villes sont également souvent décrites comme des lieux où se jouent de nouvelles formes d’insécurité, à l’image de celles que connaissent les grandes villes d’Amérique latine ou états-uniennes, insécurité largement tributaire de ségrégations sociales et spatiales toujours plus marquées, en tous cas plus visibles.
De leur côté, les appels à « faire ville » ou « refaire la ville » insistent davantage sur la dimension critique de ce qui a été fait ou défait, que sur les projets ou les voies qui pourraient être déclinés au futur, ou alors ils ne le font que sous l’angle quantitativiste de l’économiste qui déplore le déséquilibre des contributions et des subventions entre régions, et qui pense péréquation et harmonisation comptables [2] Il est vrai que, dans le constat de la ville défaite, trouve une place de choix la critique des politiques publiques en matière d’aménagement du périurbain qui ont eu cours lors des trente dernières années, souvent réduites à l’incantation(...)
De ces mêmes trente dernières années, sur le plan de l’urbanisme, on retiendra plus volontiers les belles révolutions en centre-ville, les ravalements, les aménagements de quartiers en zones touristiques et piétonnières, l’introduction du tramway, silencieux et adapté aux liaisons gares, aéroports, centres : Nantes, Bordeaux, Dijon, Clermont-Ferrand, Paris même, pour ne citer que quelques exemples en France, et d’autres suivront.
Cette face visible de la ville refaite, qui pourrait être apparentée à un ravalement de façade, n’est pas sans évoquer, à l’échelle mondiale, les grands projets de transformations urbaines qui accompagnent les grands événements sportifs : l’obtention des Jeux olympiques (à Pékin par exemple ou à Rio de Janeiro) ou d’une coupe du monde de football (comme c’est le cas actuellement au Brésil), est toujours l’occasion d’une refonte de l’urbain, rarement au bénéfice des plus défavorisés, et ce malgré les investissements pharaoniques dont ces projets sont l’occasion. À côté de ces réalisations qui sollicitent les grands noms de l’architecture, les politiques de la ville semblent avoir délaissé les objectifs longtemps affichés du vivre ensemble et de la mixité sociale. Socialement comme politiquement, l’idée d’une fracture urbaine (centre/périphérie) paraît de plus en plus acceptée, malgré des annonces non suivies d’effets qui n’ont pas su prendre la mesure de la dégradation de cet habitat social qui n’abrite plus les classes ouvrières ou les classes moyennes ou de cet habitat dit informel toujours stigmatisé. Soumise à de telles pressions sociales, la ville ne fait plus autant rêver. Au plan international si l’urbain est dorénavant majoritaire, cette révolution silencieuse s’accompagne d’une flambée des prix sans précédent qui unit dans une même réalité toutes les villes à dimension internationale, Paris ou Rio de Janeiro.(...)
La difficile « fabrique » politique de l’urbain a donné lieu à une réorganisation de la ville par le marché, et en particulier par le marché immobilier, ce phénomène étant particulièrement flagrant dans de nombreux pays dits émergents.(...)
Si la ville brûle, il semble que nous n’ayons toujours pas à notre disposition la lance à incendie qui nous permettrait d’éteindre le feu. Ce dossier voudrait tenter de comprendre pourquoi. Pourquoi, en définitive, les tentatives d’appropriation citoyenne de la ville semblent-elles marquer le pas ou ne pas déboucher sur des usages plus pérennes, plus institutionnalisés, par lesquels la fabrique des villes serait affaire de tous ? Qu’est-ce qui, des politiques publiques aux actions militantes, de la ville par en haut à la ville par en bas, empêche la rencontre et la jonction pour que se mettent en place des outils véritablement partagés de (re) prise en mains citoyenne de la ville ? À quels endroits se forge malgré tout un avenir urbain commun qui tente de réguler les marchés tout en intervenant sur la qualité des espaces ?(...)
– La première partie de ce dossier cherche à répondre à ces questions en proposant un retour critique sur quelques grands projets de transformation urbaine aussi bien que sur des outils d’aménagement de l’espace d’apparence plus modeste (...)
– Un deuxième moment de notre exploration donne la parole aux associations qui interviennent, chacune à leur manière, sur ou dans la ville.(...)
Notre dossier se termine par la proposition de se saisir, sans se bercer d’illusions, du « droit à la ville » remis au goût du jour par David Harvey qui creuse un sillon tracé en son temps par Henri Lefebvre, Grégory Busquet nous rappelant le contexte d’apparition du terme et les usages qui en furent faits dans les années 1970. Pour ne pas en rester à un mot d’ordre incantatoire, nous avons voulu comprendre les outils qui renouvellent localement la mise en œuvre d’une telle capacité citoyenne à prendre part à la vie de la cité : budgets participatifs (Héloïse Nez), pratiques des squats (Thomas Aguilera & Florence Bouillon, mais aussi un entretien, à lire sur le site de la revue, avec Christophe Coello, documentariste auteur de Squat, la ville est à nous !), ou encore les community land trusts, outil juridique qui permet de démarchandiser le foncier pour pratiquer un accès au logement véritablement solidaire (Jean-Philippe Attard).(...)