
C’est l’histoire d’un verre qui, au premier abord, semble aux trois quarts plein. Mais en approchant, on constate que pour créer l’illusion, de la peinture a été appliquée sur les parois : en réalité, le verre est aux trois quarts vide. Visiblement, le même illusionniste a œuvré sur les résultats de l’exercice 2022 de la plateforme Parcoursup, rendus publics jeudi 29 septembre.
« Rendus publics » est d’ailleurs un bien grand mot, tant ce qui figure dans le dossier, censé donner à la presse les informations nécessaires, s’avère à la fois caricaturalement parcellaire et grossièrement orienté, dans un seul but : projeter l’image du verre aux trois quarts plein – et d’une plateforme qui fonctionne.
Quand les artifices de la communication sont ainsi mis en œuvre pour dissimuler l’information, par ceux-là mêmes qui sont les seuls à pouvoir la mettre à disposition des citoyens, on mesure l’épaisseur du problème démocratique posé.
11,6 millions de vœux formulés (...)
Au final, pas plus de 18 900 candidats insatisfaits ont saisi les CAES (Commissions d’accès à l’enseignement supérieur) et au terme de tout ce formidable processus, il en reste 160 qui « continuent d’être accompagnés ». Autrement dit, quantité négligeable.
« Une procédure efficace pour répondre aux attentes des candidats et des formations », claironne le dossier. Et d’ailleurs, regardez : on s’est même payé un sondage (Ipsos) qui montre noir sur blanc que « 68 % des lycéens sont satisfaits du délai dans lequel ils ont reçu leur proposition d’admission », et surtout que 72 % « manifestent leur satisfaction à l’égard des formations dans lesquelles ils ont été acceptés (70 % en 2021) ». Plus belle, la vie !
Un étrange échantillon
Mais déjà la peinture s’écaille. D’abord parce que ce sondage est basé sur un étrange échantillon qui comprend 79 % de bacheliers généraux, 14 % de bacheliers technologiques et 7 % de bacheliers professionnels : dans la vraie vie ils représentent respectivement 54 %, 20 % et 26 % des bacheliers. Curieux sondage, basé sur un échantillon non représentatif où le poids des bacheliers généraux, mieux acceptés dans le supérieur, est considérablement exagéré.
Ensuite et surtout parce que malgré ce biais rédhibitoire, il reste encore 28 % d’insatisfaits. S’agissant de jeunes qui jouent là leurs projets et une bonne partie de leur avenir, c’est tout simplement énorme. 28 % d’insatisfaits : combien d’abandons ou d’orientations non désirées, conduisant à l’échec ? (...)
Alors, on gratte la peinture. Et au fond du verre, le breuvage apparaît franchement saumâtre. À partir des chiffres disséminés çà et là, on refait les comptes et on comprend que sur les 622 000 bacheliers inscrits cette année sur la plateforme, si 578 370 ont bien reçu une proposition d’admission (ce qui en laisse déjà près de 45 000, soit 7 %, sur le carreau), seulement 483 135 ont finalement accepté une proposition d’inscription dans le supérieur. Autrement dit : 138 865 bacheliers, soit près du quart (22,4 %) des inscrits, n’ont pas eu de place dans le supérieur cette année !
Un chiffre colossal, qui recoupe d’ailleurs les calculs publiés le 22 septembre par l’Unef. En se basant sur les capacités d’accueil des formations, le syndicat étudiant aboutit à 20 % de jeunes n’ayant pas trouvé de place.
On comprend donc que la mise en avant du chiffre de 160 lycéens sans solution sert à cacher la forêt des dizaines de milliers de jeunes qui, au fil de la procédure, se sont vus barrer l’accès au supérieur. Pour eux, il y a une formule : ils ont juste « quitté la plateforme ». Comment, pour quoi faire ? Peu importe, apparemment.
Des critères de sélection opaques
Tout le reste de cette œuvre de pure propagande est à l’avenant. (...)
C’est aussi pour tenter (vainement) de cacher ce que tout le monde sait : Parcoursup permettant désormais – c’est sa raison d’être – aux responsables des formations de sélectionner leurs étudiants, on préfère y accueillir d’abord des bacheliers généraux, quitte à laisser les autres le bec dans l’eau.