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le Monde Diplomatique
La tyrannie de la bienveillance
Article mis en ligne le 2 décembre 2020
dernière modification le 1er décembre 2020

La gestion de la crise sanitaire s’est appuyée sur l’obligation pour chacun de se protéger et de protéger les autres, en particulier les « plus vulnérables ». Le gouvernement en appelle à l’altruisme, et à la pénalisation en cas de négligence. Mais cette injonction à la responsabilité relève-t-elle d’une incitation vertueuse ou d’une entreprise de redéfinition du citoyen ?

Information coronavirus : protégeons-nous les uns les autres. » L’injonction, qui évoque à la fois un précepte biblique et un slogan de société d’assurances, semble relever d’une vérité d’évidence, de ces propos pleins d’un bon sens spontané qui ne saurait être remis en question. Il paraît en effet difficile de l’ébrécher d’un « pourquoi ? » intempestif. Qui peut s’opposer à cette aimante incitation, alors que ne pas s’y plier implique la mise en danger d’autrui ? Ne reste plus qu’à déterminer quelles consignes il faudra suivre pour se protéger les uns les autres : s’il peut y avoir discussion sur tel ou tel dispositif, l’affirmation initiale va de soi. Or, comme c’est très souvent le cas pour les vérités d’évidence, ce commandement n’a rien de naturel ; il relève de la construction d’un ensemble de valeurs et d’une conception de l’humain.

De façon flagrante, le lexique et les pratiques du gouvernement dans la gestion de la crise sanitaire ont permis l’arrivée sur le devant de la scène de la « philosophie du care », promue naguère par Mme Martine Aubry. Hier quelque peu moquée, la notion fait aujourd’hui fureur. M. Emmanuel Macron baptise « CARE » (Comité analyse recherche et expertise) l’instance chargée de « guider la décision gouvernementale dans les domaines médicaux et sociétaux » ; le ministre de la santé Olivier Véran salue, dans Le Journal du dimanche (16 mai 2020), un « concept très moderne ». Le terme anglais care signifie « soin », et aussi bien « sollicitude » (les amateurs de fictions anglo-saxonnes connaissent l’inusable « Take care » par lequel les personnages se disent au revoir, d’un air généralement préoccupé). (...)