
Quelle sera la portée de l’élection de Jeremy Corbyn à la tête d’un des plus grands partis sociaux-démocrates européens ? Nul ne sait dans quelle mesure le nouveau leader travailliste parviendra à mettre en œuvre son programme qui comporte deux axes principaux : d’une part, redonner la parole aux militants ; de l’autre, rompre avec les politiques de démantèlement de l’Etat social.
Corbyn n’aura pas la tâche facile : il devra faire face à l’hostilité affichée d’une large majorité de députés travaillistes, aux tentatives de déstabilisation de la bureaucratie partisane et aux attaques virulentes de la presse tabloïd, qui fustigera le retour d’un « dinosaure » du socialisme des années 1970.
Il serait hasardeux d’en conclure que la victoire de Corbyn va déboucher sur une crise profonde et son éviction rapide du poste de leader. Le député d’Islington n’est pas un candidat banal. Il est issu de l’aile gauche travailliste regroupée dans le Socialist Campaign Group qui compte actuellement neuf députés (...) Ph Marliére in Le Monde
La victoire de Jeremy Corbyn est sans appel. Dans les trois dernières semaines, toutes les tentatives de calomnies et les manœuvres bureaucratiques d’interdiction de vote, parfois à l’encontre de vieux militants travaillistes soudain traités d’infiltrés, se retournant en leur contraire et renforçant le mouvement pour Corbyn, sa victoire semblait acquise et les bookmakers l’avait intégrée. Les résultats sont : (...)
Les actes politiques et symboliques immédiats après la victoire de Corbyn vont dans le bon sens : reprise du Red Flag, le vieil hymne du parti mis au rebut depuis le début des années 1990, et participation de J. Corbyn à la manifestation exigeant l’accueil des réfugiés.
Au-delà, il faut bien mesurer et les spécificités et la portée de ce grand évènement pour la lutte des classes dans le vieux continent.
J. Corbyn n’est ni un trotsk, ni un « chantre de la gauche radicale » ainsi qu’on peut le lire chez nos commentateurs en panne d’imagination, surtout quand il s’agit de franchir le Pas-de-Calais. C’est un réformiste honnête et assumé, fidèle à son électorat de la banlieue londonienne d’Islington qui l’élit largement depuis 1983. Son programme se résume dans : arrêter l’austérité, renationaliser le rail, respecter les libertés civiques. Son ancrage dans les positions anti-OTAN et pro-palestiniennes du Labour des années 1970, par rapport auxquelles il n’a pas varié, l’a fait accuser d’être pro-iranien, pro-Hezbollah, et suscite une inquiétude légitime parmi les militants d’Europe orientale qui savent, eux, ce qu’est l’impérialisme poutinien. Mais ses positions, sur ce sujet comme en général sur la question européenne, ne sont pas figées.
Les prises de positions de ses supporters politiques les plus notoires, ces dernières semaines, pour la libération de Sentsov et Koltchenko, sont un indice important de la brèche que peut devenir, en Europe, la gauche britannique ouvrière, par rapport au « campisme » et à l’ignorance affligeante des luttes sociales et nationales à l’Est (...)
Pour bien se faire comprendre des Français, disons-le : Corbyn n’est pas Mélenchon et la principale différence est à l’avantage du premier, à savoir qu’il ne pensait pas du tout gagner, fut le premier surpris et ne veut rien avoir d’un « chef suprême ». (...)
Ce basculement vient des profondeurs de la société britannique. Les vieux travailleurs syndiqués comme la nouvelle jeunesse précarisée et cosmopolite s’y sont joints, avec une force décuplée. Il est entièrement venu d’en bas. Le rapport entre « la base » et les vieilles organisations est des plus volatils. Loin de se résumer à un « retour vers la vieille maison », la victoire de Corbyn exprime cette volatilité. Laquelle s’est aussi manifestée dans le déplacement de la base écossaise du Labour vers les indépendantistes, premier choc majeur.
La première question à laquelle la classe ouvrière britannique est confrontée, c’est de bloquer les lois austéritaires et anti-grèves de Cameron, ce qui conduit à un affrontement avec une grande partie du groupe parlementaire travailliste qui ne veut pas de cette bataille. (...)
A l’échelle de l’Europe, cette percée britannique signifie que ce n’est pas « la gauche » au sens idéologique du terme, dont la dernière mouture s’appelle Syriza et Podemos, mais bien le prolétariat s’organisant, qui porte l’avenir comme les combats immédiats.
Leçon essentielle particulièrement pour la France. A nous de faire maintenant de la France, par l’affrontement social, le second levier du renouveau ! (...)