
Dans les années 2004, comme beaucoup, Kentaro Toyama s’est enthousiasmé pour les télécentres indiens, où depuis un ordinateur connecté, des enfants apprenaient – souvent avec un précepteur dédié pour un prix plus élevé que la scolarité dans une école privée à temps plein -, à utiliser un ordinateur quelques heures par mois dans une langue qu’il ne parlaient pas,(...)
A cette époque, l’ICT4D a fait la promotion des télécentres indiens, parrainés et financés par des organisations externes (ONG, universités, entreprises) dans le but d’accélérer la croissance socio-économique, avec des objectifs lucratifs et non lucratifs : le télécentre devait fournir des services sociaux à la communauté et des revenus pour l’entrepreneur local qui opérait le télécentre. (...)
A l’époque, les titres de la presse ont été flatteurs : “Les producteurs de soja de l’Inde rejoignent le village mondial” ; “Les villages numériques lancent un pont sur la fracture indienne” ; “Les fermiers Kenyans acclament internet comme le sauveur de la culture de la pomme de terre”.”(...)
Pourtant, reconnaît Kentaro Toyama, les succès de l’ICT4D sont rares, fugaces, et très espacés. A Retawadi, en Inde, le propriétaire du télécentre parvenait difficilement à se faire 20 dollars par mois de revenus, alors que les coûts de matériel, d’électricité, de connectivité et d’entretien se montaient au moins à 100 dollars.
“Sur une période de cinq ans, je me suis rendu dans près de 50 télécentres à travers l’Asie du Sud et en Afrique. La grande majorité ressemblait beaucoup à celui de Retawadi. Les opérateurs de télécentres ne pouvaient pas gagner leur vie et les services disponibles étaient dérisoires. La plupart ont connu le même sort que le télécentre de Retawadi : ils ont fermé peu de temps après leur ouverture.(...)
le plus souvent, la conception n’est pas adaptée au contexte, elle ne se conforme pas aux normes socio-culturelles locales, elle a du mal à prendre en compte les carences du réseau électrique, à établir des relations avec les administrations locales, à offrir des services qui répondent aux besoins locaux, à réfléchir à un modèle d’affaires viable… (...)
La pénétration de la technologie n’est pas le progrès : la technologie n’est qu’une loupe(...)
En d’autres termes, il est beaucoup moins douloureux d’acheter une centaine de milliers d’ordinateurs que de fournir une véritable éducation pour une centaine de milliers d’enfants. Il est plus facile de gérer une hotline de santé en messagerie texte que de convaincre les gens de faire bouillir l’eau avant de l’ingérer. Il est plus facile d’écrire une application qui aide les gens à savoir où ils peuvent acheter des médicaments que de les persuader que la médecine est bonne pour leur santé. Il semble évident que la promesse d’échelle est un leurre, mais leurs promoteurs s’appuient bien souvent sur cet argument – consciemment ou non – pour promouvoir leurs solutions.” (....)
Les promoteurs des technologies pour le développement ont tendance à faire pression pour le financement technologique (..)
Diffuser une technologie pourrait fonctionner en quelque sorte si la technologie fait plus pour les pauvres, peu scolarisés, qu’elle ne fait pour les riches bien éduqués et puissants. Mais c’est l’inverse qui se passe : la technologie aide les riches à s’enrichir en faisant peu pour les pauvres, creusant ainsi les écarts entre les nantis et les démunis.” (...)