
Un ouvrage enthousiaste sur la révolution numérique qui, loin d’en égrener les avantages, invite le lecteur à s’en saisir pour créer de nouvelles formes de relations.
L’auteur commence par remarquer combien nous peinons à simplement percevoir le nouveau : l’invention de nos principaux médias (imprimerie, téléphone, cinématographe…) a commencé en mineur, en minable, et suscité d’abord le dénigrement ou l’ironie ; au point qu’une nouveauté radicale nous échapperait radicalement, nous n’aurions aucun moyen de la cadrer, d’en anticiper les effets… (...)
S’il est vrai qu’un média naît toujours deux fois, ses usagers le corrigeant, l’adaptant, le co-créant parfois fort au-delà des intentions ou visions du premier promoteur, que dire d’internet qui ne vit précisément que de nos adoptions, par un appel toujours renouvelé aux initiatives des internautes, et de développements partout relancés ? La Toile est l’exemple par excellence d’une création collective, d’une gestation permanente, et donc d’un territoire dont nul ne détient la carte mais seulement des fragments, d’usages, de performances, de vues…
Toute nouvelle vue sur ce kaléidoscope de postures, d’opinions, de savoirs, sur ce versicolore Arlequin en perpétuelle sarabande sera donc bienvenue si elle ne répète pas trop les exposés déjà reçus, ou si elle nous touche par un accent, une passion (...)
que veut dire savoir à l’époque où le numérique met tous les contenus de connaissance à la portée de quelques clics ? La tâche de l’enseignant n’en reçoit-elle pas un tour d’écrou ? Je veux dire, ne devient-il pas nécessaire de transmettre non des données de savoir au premier degré, mais d’apprendre aux apprenants à apprendre, en plaçant la barre du savoir au niveau méta : comment chercher, organiser, classer, développer, critiquer, croiser, hybrider les connaissances dont on dispose déjà (par ailleurs, ou dans le "cloud")… Comment s’en servir et faire fructifier tout cela au mieux de ses propres curiosités ?
"La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié". Le vieil adage cité en passant par David Lacombled reprend du service, en nous rappelant que le vif du savoir, ou de l’intelligence, n’a que peu de rapports avec la mémoire et les fardeaux du "par cœur" que nous imposaient nos manuels, ou nos chers professeurs. Pourquoi internet pénètre-t-il à peu près partout aujourd’hui, à l’exclusion des salles d’examen ? Pourquoi cet acharnement de certains à prescrire ou encourager le bachotage ? (...)
Comment évaluer correctement les conséquences d’un nouveau média ? Il aura fallu quelques siècles de culture "gutenbergienne" pour comprendre ce qu’avaient fait à nos esprits ou à nos mœurs le livre, et l’imprimerie ("l’ordre du livre" comme dit Roger Chartier, ou la graphosphère chère à Régis Debray) ; or les technologies numériques (dont nous pouvons « tracer » les origines depuis la décomposition alphabétique et la grammatisation développées notamment par les Grecs) ne vivent vraiment parmi nous que depuis quelques décennies. (...)
le numérique peut engendrer une politesse (une "netiquette"), de nouvelles solidarités ou une citoyenneté, là où tant d’usagers n’en profitent que pour piller, vandaliser ou publier des insanités…
Le numérique n’est pas une révolution "de plus" (terme bien dévalué à l’heure où la pub a accolé cette qualité à une voiture Citroën ou au dernier rasoir jetable), il apporte une quatrième dimension à nos objets (...) dimension relationnelle, communicationnelle, invitation à construire et relancer des liens de toutes natures entre des usagers nullement passifs ni simples consommateurs, mais co-inventeurs et développeurs de ce terrain du plus grand, du plus ouvert des jeux jamais proposés à l’humanité. (...)
le numérique si jeune encore est une affaire de jeunes (et de femmes, ajoute pertinemment notre auteur) ; le refuser aveuglément, ou sans examen un peu sérieux donc participant, revient à perpétuer ce monde de vieux, épuisé de commémorations et de recommandations d’un autre âge, dans lequel les décideurs économico-politiques nous enferment. (...)