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« La question du handicap doit se poser en termes politiques »
Pierre-Yves Baudot est co-auteur, avec Emmanuelle Fillion, de Le handicap cause politique, paru en 2021 aux éditions PUF.
Article mis en ligne le 15 mars 2022

Alors que les Jeux Paralympiques viennent de s’achever, la question du handicap reste totalement absente du débat public.

On en a causé avec Pierre-Yves Baudot, professeur de sociologie à l’université Paris Dauphine.

Pierre-Yves Baudot. L’existence de ces individus est de bout en bout politique, car leur existence est plus que d’autres tendue par le fil des institutions, qui par exemple déterminent le montant des allocations. Ce sont des individus, qui, étant démarchandisés – c’est à dire ne gagnant pas leur vie par le travail –, dépendent largement des politiques d’assistances sociales. On a donc affaire à un processus de dépolitisation du problème. Cette dépolitisation renvoie à l’alignement des différentes institutions autour d’une prise en charge à l’écart, séparée d’une population prenant part au processus productif. Quelle est la frontière entre « les mauvais pauvres », les personnes au RSA, et les « bons pauvres », les personnes handicapées ? Cette distinction peut s’expliquer par le fait qu’il y a un accord pour dire que l’État leur reconnait un droit, celui d’être handicapé et de recevoir des allocations – ce qui les distingue d’autres pauvres qui eux sont considérés comme devant « traverser la rue » – avec la contrepartie qu’ils n’appartiennent plus complètement à « la société mainstream ». (...)

La question du handicap a été en partie oubliée par les organisations politiques de gauche, que ce soit les partis ou les organisations syndicales. On peut noter qu’entre 1990 et 2005, la commission handicap du PS a eu un effet très important dans la traduction d’idées ayant émergées dans le mouvement social vers le champs politique. Une partie des idées qui encadrent encore aujourd’hui les politiques handicaps viennent de cette commission. Dans les années 50, c’est essentiellement des parents issus du catholicisme social qui on fait émerger un pan du secteur associatif. La gauche s’est saisie de ces questions non pas au contact direct des personnes concernées mais par les professionnels, via des associations tel que l’APAJH [1], une association d’enseignants en structure spécialisée. Par exemple, quand François Ruffin s’occupe de la question du handicap, il le fait sous l’angle des aidants, sous l’angle des travailleuses du care, alors que les revendications du secteur sont principalement portées par les personnes concernées. Les principaux relais se trouvent du côté de l’antiracisme et du féminisme. Aujourd’hui, l’enjeu est d’inscrire la question du handicap dans le champ de l’intersectionnalité. (...)

« 30% des personnes handicapées ne sont pas inscrites sur les listes électorales, alors que le taux est à 12% dans la population générale. Une fois inscrite, cette population participe de manière équivalente à la population générale. Si les populations les plus défavorisées se mobilisaient à parts égales des populations les plus aisées, on aurait des politiques de protections sociales plus favorables. » (...)

La protection sociale accordée aux personnes handicapées s’est faite au prix de la ségrégation. Le droit reconnu à sortir du monde du travail s’est accompagné d’une dégradation de leur citoyenneté politique et sociale. C’est un système très paternaliste. Une forte partie du mouvement des personnes handicapées demandent de pouvoir entrer sur le marché du travail. Il y a un dilemme de savoir s’il faut garder la protection sociale actuelle quitte à accepter la perte d’une partie de sa citoyenneté sociale et politique, ou s’il faut prendre le risque de détruire les institutions actuelles. (...)

La loi de 2005 réactualise un objectif d’une loi de 1975 faisant de l’accessibilité une obligation nationale, mais sans y mettre réellement de contraintes. Elle donne un objectif de dix ans pour rendre la France accessible. Il y a eu un immobilisme majeur pendant le quinquennat Sarkozy. Depuis le 1er janvier 2015, toutes les plaintes pour inaccessibilité des établissements recevant du public et du bâti neuf, risquent de passer au contentieux. Le risque financier est majeur pour l’État bien que désormais il dispose d’un délai supplémentaire – de 5 à 10 ans. La loi de 2005 n’a pas changé grand chose et, depuis, on est même revenu en arrière : en 2008, la loi ELAN est revenue sur l’objectif de 100% d’accessibilité du bâti neuf, passant à... 20%. Au-delà de cela, il y a eu une sécurisation juridique de l’État qui a été opérée, rendant très difficile les plaintes pour défaut d’accessibilité. (...)

la question de la déconjugalisation a été une mobilisation qui est partie de collectifs militants de personnes concernées, qui ont fabriqué de l’expertise, de la mobilisation, qui ont beaucoup utilisé les réseaux sociaux. Au final, elles ont réussi à inscrire ce problème à l’agenda politique et à mettre la secrétaire d’État aux personnes handicapées en très grande difficulté. Ce dernier a été, au mois de juin dernier, autorisée par Jean Castex à utiliser l’outil du vote bloqué, ce qui précède dans les armes parlementaires l’utilisation d’un 49.3. C’est une défaite politique majeure et elle a d’ores et déjà dit que la question de la déconjugalisation pourrait être une base de discussion dans un prochain mandat. Et, chose assez inédite, cette lutte a mobilisé en dehors des collectifs, pour toucher des mouvements sociaux notamment féministes. (...)