Une proposition de loi LREM pourrait renforcer l’impunité des agents en empêchant, lors de la diffusion des vidéos, leur identification. Déjà votée jeudi en commission, elle soulève des « risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux », dont celui d’informer, selon la Défenseure des droits. La majorité accède en direct à une demande des syndicats de police. Décryptage.
Diffuser des images de policiers identifiables, dans l’exercice de leur fonction et dans l’intention de porter atteinte à leur « intégrité physique ou psychique », pourrait être passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
C’est ce que prévoit la proposition de loi « sécurité globale » portée par deux députés LREM, l’ancien patron du Raid Jean-Michel Fauvergue, et l’avocate Alice Thourot. Largement soutenue voire affinée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, elle vient d’être adoptée par la commission des lois, jeudi 5 novembre, avant d’être débattue dans l’hémicycle à partir du 17 novembre. Les inquiétudes sont grandes et les réactions des ONG et avocats ne se sont pas faits attendre.
Particulièrement préoccupée par « les risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée et à la liberté d’information », la Défenseure des droits, Claire Hédon, a demandé, dans un avis publié jeudi, à « ce que ne soient, à l’occasion de ce texte, entravés ni la liberté de la presse, ni le droit à l’information. » (...)
Déposée le 14 janvier 2020, cette proposition de loi concernait initialement la police municipale et la sécurité privée. À la suite des entretiens, organisés à partir du 20 juillet, entre le ministre de l’intérieur et les syndicats de police, une nouvelle mouture a été enregistrée le 20 octobre, dans laquelle s’est notamment inséré l’article 24 sur la diffusion d’images de policiers non floutés.
Une semaine avant, le 13 octobre, au cours d’une réunion avec l’ensemble des syndicats de police, Gérald Darmanin l’avait d’ailleurs annoncé en ces termes : « Soyez rassurés, avec le président de la République et le premier ministre, nous serons toujours là pour vous défendre. Le travail se poursuit sur des réformes annoncées en septembre : floutage, nouvelle utilisation des caméras-piétons. Ils trouveront leur traduction dans la prochaine proposition de loi Fauvergue-Thourot. » (...)
Certains députés, la rapporteuse Alice Thourot en tête, se veulent rassurants et affirment qu’il sera toujours possible de filmer la police. Certes, il le sera mais il sera obligatoire lors de la diffusion de ces images de flouter leur visage et de masquer tout autre signe permettant de les identifier.
Cette obligation de rendre non identifiable les forces de l’ordre et la peine encourue en cas de non respect risque de dissuader plus d’une personne de diffuser des enregistrements montrant les opérations de police en cours lors de manifestations. (...)
avec l’évolution de la téléphonie et la multiplication des réseaux sociaux, les violences policières, en particulier lors de mouvements sociaux comme les manifestations contre la loi Travail, en 2016, (à lire ici), peuvent être plus facilement documentées qu’elles ne l’étaient jusqu’à présent. (...)
« Vers un État de police ? », a ainsi interpellé le syndicat de la magistrature, dans un communiqué publié le 4 novembre. Le but de ce texte étant, selon le syndicat, « de faire encore reculer le contrôle démocratique sur ce qui se joue, les forces de l’ordre devenant finalement les seules à échapper aux honneurs des caméras. Le jour même, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a quant à elle alerté sur les dangers pour la liberté de la presse.
Comment couvrir une manifestation en direct ? « Face à un journaliste en train de les filmer, des policiers pourraient présumer que ses images sont diffusées en direct dans le but de leur nuire et pourront alors procéder à son arrestation en flagrant délit pour qu’il soit poursuivi, dénonce l’ONG. Même à considérer que le risque de condamnation est faible, le journaliste aura été arrêté et empêché de couvrir les événements. » (...)
La Défenseure des droits estime que les images des interventions de police « sont légitimes et nécessaires au fonctionnement démocratique, comme à l’exercice de ses propres missions de contrôle du comportement des forces de sécurité ». Et de conclure en guise d’avertissement, qu’elle « suivra avec la plus grande vigilance la suite des discussions parlementaires ».