
La boutique d’Alice Nyota ressemble beaucoup à d’autres boutiques du quartier d’affaires du centre de Kampala : elle propose différents types de textiles africains et une sélection de vêtements prêts-à-porter élégants. Installée dans un centre commercial animé, avec de petits compartiments séparant les différents magasins, c’est ici que l’esprit d’entreprise de ceux qui se battent pour survivre dans la ville est le plus manifeste.
À l’exception près que dans ce cas, cette entrepreneure est l’un des 98.000 réfugiés qui vivent et travaillent dans la capitale ougandaise.
« J’ai quitté la RDC (République démocratique du Congo) en 2006 à cause de l’insécurité qui régnait lors des premières élections multipartites organisées dans le pays. À cause de notre travail, nous étions constamment menacés. Un soir, des agents de sécurité sont venus nous arrêter, mon mari et moi, mais nous avons réussi à nous échapper. C’est à ce moment-là que nous nous sommes enfuis vers l’Ouganda, » déclare Nyota.
À l’époque, Nyota travaillait pour une ONG qui instruisait les communautés autochtones sur leurs droits électoraux dans la ville de Goma, dans l’est de la RDC. « Notre travail consistait à proposer une éducation civique, mais les responsables du parti au pouvoir voulaient que nous leur indiquions pour qui voter. C’est à ce moment-là que nos problèmes ont commencé, » se souvient Nyota. (...)
(...) Nyota déclare qu’en dépit de son statut de réfugiée, la création de sa propre entreprise après des années de lutte lui a permis d’atteindre son indépendance financière. Elle peut désormais envoyer ses enfants dans de bonnes écoles, louer une maison décente et nourrir sa famille. (...)
La « remarquable » politique ougandaise en matière de réfugiés
Des décennies de conflits et d’insécurité dans des pays limitrophes tels que la RDC, le Rwanda, la Somalie et, plus récemment, le Soudan du Sud ont provoqué une arrivée massive de réfugiés dans le pays.
Officiellement, environ 1,35 million de personnes de 13 pays africains se sont réfugiées dans ce pays d’Afrique de l’Est, dont environ 1,025 million proviendrait du Soudan du Sud uniquement (bien que les chiffres réels seraient plus élevés). L’Ouganda accueille également le plus grand camp de réfugiés du monde, Bidi Bidi, qui abrite plus de 270.000 personnes pour la plupart originaires du Soudan du Sud.
Dans un monde où de plus en plus de portes semblent fermées aux 65,6 millions de personnes déplacées de force qui tentent d’échapper à la guerre, à la pauvreté, à la répression et aux effets dévastateurs du changement climatique, la politique ougandaise en matière de réfugiés se distingue comme un exemple pour le reste du monde. (...)
Dans le cadre d’un modèle appelé Stratégie d’autosuffisance, inscrit dans la loi ougandaise de 2006 sur les réfugiés, une fois enregistrés (ce qui peut prendre des mois), ces derniers ont le droit de travailler, de se déplacer librement à l’intérieur du pays et de créer des entreprises. Ils obtiennent également l’accès aux mêmes services publics que leurs communautés d’accueil, y compris l’éducation et les soins de santé.
En outre, ceux qui vivent dans l’un des 28 camps de réfugiés désignés à travers le pays (le gouvernement ne les appelle pas « camps » parce que les habitants sont autorisés à circuler librement) reçoivent des lopins de terre pour cultiver leur propre nourriture, ainsi que des provisions de base et des rations alimentaires mensuelles.
« Dans la gestion de tous les demandeurs d’asile et réfugiés, notre politique met l’accent sur une approche fondée sur les droits, » déclare Musa Ecweru, ministre ougandais des Secours, de la Préparation préalable aux catastrophes et des Réfugiés.
Ecweru déclare que le sommet de solidarité envers les réfugiés que l’Ouganda a organisé en juin 2017 a été une façon de présenter l’attitude exemplaire du pays envers les réfugiés. « Bien que notre objectif fût d’obtenir davantage de soutien financier, le sommet était également une façon de dire : “Regardez-nous ! Si un pays avec des ressources limitées comme l’Ouganda peut accueillir ce nombre de réfugiés, alors d’autres pays devraient relever le défi”, » déclare Ecweru. (...)
Mais malgré la réussite de certains réfugiés, nombreux sont les défis que doivent relever ces derniers. Outre les difficultés financières, les réfugiés se heurtent également à la barrière de la langue et à des différences culturelles, ainsi qu’à des attitudes négatives de la part de certains autochtones qui estiment que les réfugiés mettent les ressources de l’Ouganda à rude épreuve.
Par ailleurs, en dépit du fait que les réfugiés ont le droit de travailler en Ouganda, dans la pratique, les emplois sont peu nombreux dans les camps et les possibilités d’emploi rares dans les villes et villages du pays. Même les réfugiés hautement qualifiés éprouvent des difficultés à trouver un emploi formel. En conséquence, la plupart des réfugiés sont contraints de lancer leur propre affaire et d’entrer dans l’économie informelle, non pas par choix, mais par nécessité.
C’est à cause de ces défis que certains activistes demandent au gouvernement ougandais de faire plus que de se contenter d’ouvrir ses portes aux réfugiés. (...)