
Les pouvoirs publics réduisent les moyens de la pédopsychiatrie, en particulier en milieu rural où de nombreux centres médico-psychologiques ferment. Les autorités prônent le maintien en milieu naturel tout en cassant les dispositifs d’accompagnement au point que l’objectif à terme de privatisation du secteur parait évident. Des psychologues de Midi-Pyrénées livrent ici leur point de vue.
Il est souvent rappelé que la France fut à la pointe de l’approche ambulatoire des problèmes de santé mentale, par un texte prévoyant dès 1960 la "sectorisation" c’est-à-dire la couverture du territoire de dispensaires d’hygiène mentale, devenus en 1986 centres médico-psychologiques (CMP), présents dans chaque département. Même si la lourdeur du secteur psychiatrique fermé a fait que cette sectorisation ne s’est pas réalisée du jour au lendemain, on avait là tout de même une évolution positive, qui, autant que possible, s’opposait à l’internement des malades.
Parallèlement, dans d’autres secteurs, on constatait aussi une volonté de ne pas exclure et enfermer : dans la même période, on a assisté dans le domaine de la protection de l’enfance à l’apparition des mesures sociales et éducatives à domicile.
Depuis le retour en force des politiques économiques dites "libérales" (en gros : réduire les dépenses sanitaires et sociales pour permettre aux détenteurs de capitaux de faire davantage de profits ce qui les incitera, promettent-ils, à investir et donc à booster l’économie et donc à réduire le chômage), le maitre-mot des décideurs est de sabrer partout dans les dépenses y compris dans celles qui manifestement favorisent un mieux-vivre pour ceux qui en bénéficient.
"Les gamins à la niche"
Non seulement des hôpitaux psychiatriques souffrent de ces réductions drastiques (autant que les hôpitaux généraux, même si on en parle moins), mais les services de suivi psychiatrique en milieu ouvert, les CMP, sont également menacés, certains ayant déjà fermé, comme dans la région du Rouvray (ou certains personnels soignants se sont mis en grève de la faim) ou à Bruyères dans les Vosges où le CMP accueillait 240 enfants et adolescents en souffrance psychique, contraints d’aller voir ailleurs. (...)
La plupart des CMP qui ne sont pas fermés sont conduits à traiter davantage de malades sortants des hôpitaux plutôt que, à titre préventif, à leur éviter d’y entrer. Les économies en personnel faites sur les CMP pour enfants provoquent de longues listes d’attente et des délais de prise en charge préjudiciables aux enfants, aggravant leur état, et angoissant les parents. Des professionnels, psychologues ou psychiatres, finissent par démissionner estimant qu’ils ne peuvent plus exercer selon les règles éthiques de leur profession. Cette "politique de santé" conduit à terme à privilégier le secteur privé, réduisant le public à n’être qu’un service d’intervention d’urgence. (...)
Postes non remplacés et personnels isolés instaurent des zones blanches en pédopsychiatrie. Cette pénurie de professionnels est masquée par des données statistiques faussées (...)
Le 30 mars 2018, une tribune dans Libération signée par deux pédopsychiatres lance ce cri d’alerte : La pédopsychiatrie ne veut pas mourir ! Les auteurs, Bernard Golse et Marie-Rose Moro, s’inquiètent de la réduction de moitié du nombre de pédopsychiatres en dix ans au point que les délais d’attente dépassent une année et que, dans certains départements, ils ont tout simplement disparu. Ils s’alarment aussi d’un modèle de soin essentiellement centré sur le symptôme, oubliant la notion de prise en charge globale et pluridisciplinaire de l’enfant. Les auteurs soulignent le sentiment d’abandon ressenti par les professionnels de pédopsychiatrie dont les moyens alloués ont stagné depuis dix ans tandis que l’activité augmentait de près de 80% sur cette période. (...)
Que deviendront ces enfants, dont une grande partie des parents ne dispose pas de moyens financiers pour ces soins, ni de véhicule ? Paradoxalement, certains suivis d’enfant s’arrêtent avec une prise en charge de transport, soit par échec à trouver un prestataire, soit du fait d’un désinvestissement des familles. (...)
Cette mise en péril de l’accès au soin, renforcée par la pénurie médicale et réglée sur des logiques économiques inquiète l’ensemble des professionnels partenaires (établissements scolaires, tribunaux pour enfants, aide sociale à l’enfance…) qui ne savent plus vers qui se tourner.
Rendez-vous en terre inconnue : pédopsychiatrie