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Basta !
La musique classique pour lutter contre la mafia et l’embrigadement des enfants
Article mis en ligne le 10 octobre 2019
dernière modification le 8 octobre 2019

Pauvreté et chômage précipitent une partie de la jeunesse sicilienne dans les bras de la mafia. Tout le monde n’a pas baissé les bras : via l’apprentissage à la musique et des concerts, une fondation ouvre de nouveaux horizons aux enfants, face à l’attraction de l’argent facile.

Au détour d’une petite ruelle du centre historique de Catane, une note appuyée de violon s’échappe d’une fenêtre, bientôt reprise en chœur par quelques archets hésitants. Il n’y a qu’à se laisser guider à l’oreille pour trouver l’adresse exacte de la Città Invisibile. Au premier étage d’un vaste immeuble un peu défraichi, cette fondation offre gratuitement des cours de musique aux enfants des quartiers précaires de la deuxième ville de Sicile.

Pour y accéder, il faut d’abord gravir les marches de « l’escalier de la légalité », frappées des noms des victimes – célèbres ou plus anonymes – de la mafia. S’y côtoient Rita Atria, la jeune adolescente qui osa briser l’omerta avant de se donner la mort, Cosimo Cristina, journaliste assassiné en 1960, et bien d’autres : « Des noms choisis par les enfants de la fondation pour rappeler la vie de ces victimes, ne pas les oublier », précise Alfia Milazzo, fondatrice de la Città Invisibile il y a maintenant dix ans.
« Pour beaucoup de jeunes, la vraie école est celle des clans qui te promettent des gains faciles » (...)

« Il y a des jeunes qui, à 12 ans, parviennent à subvenir aux besoins de leur famille en ramenant à la maison 80 euros par jour. Ils font le guetteur pendant que le père de famille, lui, ne gagne que 10 euros à faire la plonge au noir », déplore la bénévole. « Cet écart est gigantesque. Alors ici, on se bat pour leur faire comprendre que ces 80 euros ont quelque chose de funeste et que les 10 euros, eux, représentent la vie, une forme de dignité. C’est un processus difficile à expliquer, mais la majorité de nos jeunes l’ont compris », confie la Catanaise, dont la voix fluette est régulièrement couverte par les kiai (les cris rituels) enthousiastes du cours de karaté dans la pièce voisine.
Une méthode d’apprentissage musicale contre les inégalités

Un peu plus dans loin, dans une autre salle, le son clair du violon se fait à nouveau entendre. Avec un calme impérieux, Moisés Pirela initie une classe de jeunes enfants à la rigoureuse maitrise de l’instrument. (...)

Le maestro est originaire du Venezuela, tout comme la méthode d’apprentissage musicale inculquée dans les cours de la Città Invisibile. Ici, on ne jure que par cette méthode, « El Sistema », et son inventeur le musicien et économiste José Antonio Abreu (décédé en 2018).

Il y a plus de quarante ans, il eut l’idée d’enseigner gratuitement la musique aux enfants des quartiers pauvres de son pays. Ce programme socio-musical compterait aujourd’hui des centaines de milliers d’élèves dans la République bolivarienne, et a depuis essaimé à travers le monde, jusqu’ici au pied de l’Etna. (...)

« Contrairement à la méthode classique italienne, où l’on apprend la musique seul, avec un professeur privé, avec ce système on s’initie tous ensemble à la musique », confie avec enthousiasme Laurena, une violoniste de vingt ans.
« Si tu peux jouer d’un instrument, tu peux viser quelque chose de plus élevé »

« L’autre différence importante ici, c’est que l’enfant touche l’instrument dès le premier jour, avant même d’apprendre à lire la musique (...). C’est une manière plus facile d’approcher certains de ces enfants, qui ne sont pas habitués à la discipline », avance le maestro Botello. Une dimension sociale portée par la fondation, que les jeunes musiciens revendiquent pleinement. « C’est une manière de te détourner des choses négatives que tu pourrais faire dans ton quartier, où les ambitions sont limitées. Si tu peux jouer d’un instrument, tu peux aussi viser quelque chose de plus élevé que ce à quoi te limite ton environnement », explique avec une lucidité désarmante Adele, seize ans à peine. (...)

Mais l’ancienne formatrice à l’Eni Corporate University sait aussi que le travail acharné et l’abnégation des bénévoles de la Citta Invisibile ne peuvent pas tout. « Sur les quelque 1300 enfants passées par la fondation en dix ans, je pense que nous en avons perdus un tiers », confie-t-elle.
En finir avec « ce malaise culturel lié au manque d’espoir en l’avenir »

Certaines familles, proches des milieux mafieux, s’inquièteraient de voir leur enfant « changer ». On craint la trahison. Et de jeunes élèves finissent par ne plus revenir. (...)

Pourtant, comme le reconnait volontiers Angelo Busacca, le substitut du procureur général de Catane, le travail de la fondation et de la myriade d’initiatives citoyennes pour les jeunes est plus que salutaire