
Alors que l’Accord de Paris fixe l’objectif d’une limitation du réchauffement climatique à + 2°C, des traités de libre-échange comme le TAFTA continuent à être négociés. Un paradoxe selon Thomas Porcher, économiste et professeur associé à la Paris School of Business (PSB) et Henri Landes, maître de conférences à Sciences Po Paris et fondateur de CliMates. Dans leur livre, "Le déni climatique" (1), ils dénoncent des négociations néfastes pour le climat mais aussi pour l’environnement et la société. Entretien.
Henri Landes. Nous pensons que l’Accord de Paris est une étape pour en sortir, mais que nous sommes toujours dans le déni. Il ne suffit pas de signer un accord universel et contraignant sur le climat dans l’enceinte des négociations climatiques onusiennes. Il s’agit aussi d’intégrer la dimension climatique dans les instances de décision sur l’économie et la société au sens large. Cela est en train de se produire mais il faut tout de même une forte accélération du processus.
Il faut voir si, dans les prochains mois, les prochaines années, le signal de l’Accord de Paris permet réellement de verdir l’économie. Pour l’heure, des instances économiques et politiques prennent encore des décisions contraires à la lutte contre le changement climatique. C’est par exemple le cas des indicateurs économiques comme le fameux PIB, qui ne prend pas en compte les externalités environnementales au sens large (les conséquences négatives de la croissance sur l’environnement, NDLR), des subventions aux énergies fossiles, mais aussi de la signature des accords de libre-échange qui se multiplient dans le monde. (...)
Thomas Porcher. Il ne faut effectivement pas attendre les COP pour agir, mais plutôt agir pour porter les ambitions de ces COP un peu plus haut, au-delà du consensus mou qui a été acté. Face à l’urgence climatique, il faut maintenant que les États prennent le relais et rompent avec le business as usual.
Politiquement, l’Accord de Paris a été un grand moment, matérialisons-le en faisant les bons choix de politique économique et de politique globale, aux niveaux mondial, national et local, pour engager la transition énergétique ! Il ne faut pas que le soufflé retombe. Or c’est un peu ce qui est en train de se produire... (...)
Dans le TAFTA, comme dans bien d’autres traités de libre-échange, et même à l’OMC (l’Organisation Mondiale du Commerce), il n’y a tout simplement aucune clause ni même référence au climat. Or, l’Union européenne a défini une stratégie, baptisée "Global Europe : Competing in the world", qui a entraîné la signature d’accords de ce type avec une multitude de pays : la Colombie, la Corée du Sud ou le Canada. D’autres sont en cours avec l’Ukraine, le Conseil de coopération du Golfe ou le Mercosur. C’est aussi dans ce cadre-là qu’est négocié le TAFTA.
Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que nous allons échanger des biens, des énergies - et notamment des énergies fossiles très émettrices de gaz à effet de serre, comme les sables bitumineux ou les gaz de schiste - avec des partenaires situés à 10 000 km, quand les impératifs climatiques demandent de privilégier les circuits courts. Même si ce n’est pas si simple que cela, rien que le transport mondial de marchandises (maritime et aérien) est source de plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre... (...)
Quand la Chine est l’atelier du monde, quand nous consommons les biens qu’elle fabrique, est-ce que nous pouvons la considérer comme seule responsable de ses importantes émissions de gaz à effet de serre ? Le sujet de ces "émissions consommées" ou "oubliées" commence à être mis sur la table par les ONG, mais il n’est pas encore vraiment intégré aux décisions qui sont prises. (...)
Si nous avons freiné la lutte contre le changement climatique, que les négociations climatiques ont stagné, ce n’est pas par manque de connaissances, de prises de conscience ou d’ambitions, c’est parce que dans les autres arènes de décision, on n’arrêtait pas de nier ou de repousser les enjeux climatiques... Et parfois ce sont les mêmes décideurs qui parlent de climat dans une enceinte et de seule croissance dans une autre !
Il faut arrêter d’inonder les négociations climatiques de personnalités économiques et intégrer des économistes qui ont une fibre climatique et environnementale dans les négociations commerciales. Il y a d’ailleurs de plus en plus d’économistes de très haut niveau, comme Stieglitz, qui prennent en compte la question environnementale et qui avertissent des dangers de ces traités. (...)