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La moitié des fermes en agroécologie en 2040 : mais qui va décider de leur attribuer des terres ?
Article mis en ligne le 23 juillet 2020
dernière modification le 21 juillet 2020

Elle a la lourde mission d’attribuer les terres agricoles, que se disputent exploitations agricoles classiques ou bio, projets agro-industriels et, demain, fermes en agroécologie. Aucune réforme agraire « climato-compatible » ne se fera sans elle. Pourtant, on en parle peu : la Safer est une instance collective où siègent des élus et des représentants du monde agricole, qui a tous les attributs d’un Parlement pour partager le foncier. Sauf la transparence.

(...) Nous sommes dans les locaux de la Safer, en Charente-Maritime à Saintes. Le « comité technique » va commencer, la session a lieu en moyenne une fois par mois. L’assemblée se tient à huis clos. Tous ont signé une clause de confidentialité, aucun observateur n’est admis. Notre journaliste a bénéficié de la confiance de la Safer locale qui l’a autorisée à entrer à condition de signer également la clause de confidentialité.

Les Safer – Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, il en existe une par département – sont peu connues du grand public. Leur rôle d’arbitre des ventes les rend pourtant puissantes. Elles peuvent, une fois que la vente est conclue entre un vendeur et un acheteur [2], annuler la transaction et proposer un candidat à l’achat qui lui semble davantage porteur de l’intérêt général.

Qui siège au sein des Safer (...)

Qui sont les députés de ce petit Parlement ? Les agriculteurs, représentés par leurs syndicats. Mais aussi ceux qui accompagnent leurs projets d’installation, la Chambre d’agriculture locale, les assurances et les banques. On trouve d’autres acteurs de la vie rurale : le Conservatoire d’espaces naturels, l’association des chasseurs, l’association des maires, et le syndicat de la propriété rurale. Un élu du Conseil départemental et un élu du Conseil régional sont aussi autorisés à entrer et voter. Chaque structure égale une voix. Seul contre-pouvoir à l’assemblée, l’État.

« Les opérations menées par la Safer doivent être conformes à la réglementation », explique Philippe de Guénin, commissaire du gouvernement pour le ministère de l’Agriculture pour la région Nouvelle-Aquitaine. Avec son homologue du ministère des Finances, ils observent les décisions. Et disposent d’un droit de veto. (...)

Depuis les années 2000, les Safer sont de plus en plus sollicitées. De nombreux agriculteurs partent en retraite – la moyenne d’âge des agriculteurs en 2018 atteint 51 ans (contre 40 ans pour la population active). Les ventes de biens agricoles sont plus nombreuses qu’avant. (...)

La valeur pour le territoire entre en compte. « On favorise les projets qui apportent de la valeur économique et de l’emploi », poursuit Philippe Tuzelet qui insiste sur la nécessaire « diversification des productions agricoles. » Les modes de production biologique et industriel sont-ils en compétition ? Pas sur les terres déjà cultivées en agriculture bio. « Depuis 2014, la loi impose à la Safer d’attribuer des terres bio en priorité à un agriculteur biologique », continue-t-il. La part de subjectivité propre à chaque élu joue enfin un rôle dans le choix, parfois délicat, de l’acheteur : « On vote pour les projets qui nous paraissent les plus méritants. »

Lorsque la Fédération des Safer est créée en 1960, elle répond à un besoin de répartition. L’objectif : faire justice pour éviter de démembrer des fermes viables et pour faciliter l’accès à la terre aux jeunes agriculteurs. « Aujourd’hui encore on évite les conflits fonciers en France », assure Emmanuel Hyest, le président national de la Safer.

Mais les décisions de la Safer sont très critiquées. Dans les campagnes, sa réputation de « gendarme du foncier » la dessert. Les agriculteurs voudraient pouvoir faire leurs affaires et acceptent mal ses interventions. D’autant qu’elles sont totalement opaques. Pour le monde extérieur, la Safer apparaît comme une forteresse (...)

Dans une grande loi foncière envisagée pour 2021 – le calendrier du vote reste inconnu à ce jour – il est question d’étendre la mission de la Safer aux ventes de terre via les parts de société, qui se sont considérablement développées dans les dernières années [5]. La réforme ne prévoit pas de modifier la gouvernance de la Safer ni de lever le voile sur son difficile exercice. Pourtant si les gouvernements futurs ambitionnent de « faire muter notre agriculture » et d’« atteindre 50% d’exploitations en agroécologies en 2040 » comme le propose la convention citoyenne pour le climat (alors que la surface cultivée en bio approche péniblement des 10 %), il faudra bien aussi revoir le modèle d’attribution des terres.