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La mère du bébé décédé après avoir inhalé des lacrymogènes raconte
Article mis en ligne le 4 mars 2020

.Elle s’appelait Mohamadi et avait seulement trois mois. Ce vendredi 28 février à Kahani, un village situé au centre de Mayotte, l’enfant déjà malade inhale du gaz lacrymogène. Elle décède quelques heures plus tard. Sa mère témoigne.

Kahani (97-6) – Il ne lui reste plus que sa dignité, immense. Elle irradie la seule pièce de sa maison aux murs de ciments bruts et au lino en charpie. Fatima est là, assise sur le bord de son lit aux draps blancs et soigneusement tirés. C’est sur ce même lit qu’elle a retrouvé son bébé suffoquant, vendredi dernier. Ce jour-là, le village de Kahani est plongé dans la violence et les gaz lacrymogènes. « Ça tirait de partout. On ne voyait plus clair dans la maison. Quand je suis arrivé près du lit, j’ai vu que la petite avait changé de couleur », se remémore la maman, prostrée dans la pièce sombre qui lui fait écho.

Malgré le chagrin immense qui l’habite, Fatima se souvient avec précision de cette matinée. Comme si elle avait pu une dernière fois mesurer le temps avant qu’il ne s’envole. Il est 6h quand l’un de ses fils part pour aller prendre le bus et se rendre au collège. « Quelques minutes plus tard, il devait être 6h03 ou 6h04, il est revenu en courant en disant que ça chauffait dehors », raconte en shimaoré la mère de famille.

À une centaine de mètres de la maison où Fatima vit encore avec ses sept enfants, des scènes de guérilla urbaine tétanisent le village. Point de départ de l’émeute, le pôle d’échange des bus scolaires venus des quatre coins de l’île. Lesquels sont attaqués par des dizaines de jeunes cagoulés et armés de bâtons à clous ou autres machettes. (...)

Le genre de scènes qui se répètent chaque semaine depuis près de deux mois dans différents villages du département français. (...)

« Le bébé était déjà malade, il avait de la fièvre et du mal à respirer. Je l’ai emmené quelques jours plus tôt au dispensaire où l’on m’avait donné des médicaments. Depuis, mon enfant allait vraiment mieux », se rappelle Fatima. Devant la détresse de son bébé, elle retourne au pas de course au dispensaire, son enfant dans les bras, entre les gaz et les pierres. Après avoir négocié avec les émeutiers qui acceptent de la laisser passer.

Pris en charge dans un délai jugé trop long par sa mère, l’enfant décédera quelques dizaines de minutes plus tard. Sa vie s’envolera entre les mains des secouristes, arrivés trop tard. (...)

Ils m’ont parlé d’une autopsie et j’étais d’accord. Je ne comprends pas pourquoi ça ne s’est pas fait », assure-t-elle. Pour la mère de famille, le doute n’est pas permis : l’inhalation de gaz est à l’origine de la mort de son enfant. Fatima n’en veut cependant pas aux forces de l’ordre qui n’avaient, comme elle le considère, « pas d’autre choix ».

Du côté du dispensaire, la question de l’autopsie est rapidement expédiée. « Vous savez ici, c’est tellement courant qu’il n’y ait pas d’autopsie », justifie l’un des médecins. (...)

Malheureusement, ce n’est qu’une victime collatérale de ces violences sans limites face auxquelles les forces de l’ordre n’ont rien d’autre que leurs gaz pour répliquer », poursuit l’homme de santé depuis le dispensaire d’où, vendredi, la voiture de la morgue emporte le bébé pour l’amener au village. (...)

C’est le vide. La peur sans la colère, mais la vie sans espoir. La seule source de joie s’est tarie lorsque Mohamadi est partie. Laissant sa mère, seule, avec cette plainte lancinante qu’elle répète à voix basse :

« Elle s’appelait Mohamadi. »

Une enquête est ouverte

Mardi matin, la gendarmerie s’est rendue chez Fatima. Suite à son entretien avec les militaires, la mère de famille a décidé de porter plainte, non pas contre les forces de l’ordre qui ont tiré les grenades lacrymogènes, mais contre le dispensaire qui dépend du Centre hospitalier de Mamoudzou. Selon elle, le médecin puis les secours auraient mis plus d’une demi-heure à venir en aide au bébé en détresse respiratoire.

Dans la foulée, le procureur de la République a décidé d’ouvrir une enquête, ce qui empêche les hommes en bleu de s’exprimer sur le sujet.