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« Là-haut, ils créent des problèmes que nous n’avons pas » : enseignants et parents portant le voile témoignent
Article mis en ligne le 6 février 2020

Alors qu’une partie de la classe politique et médiatique relance régulièrement les polémiques sur les mères qui accompagnent les activités scolaires tout en portant un voile, Basta ! est allé à la rencontre des mères de Mantes-la-Jolie, qui s’impliquent au sein des établissements de leurs enfants.

« J’ai participé pendant dix ans aux activités scolaires de l’école maternelle. Quand j’ai dû arrêter l’année dernière, la directrice en a pleuré, et moi aussi. Quand je pense qu’au début, j’avais peur d’entrer dans l’école… » Rabia [1] a quatre enfants, âgés de 6 à 16 ans. Ils sont tous scolarisés à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. Quand elle est arrivée en France, du Maroc, Rabia ne maîtrisait pas encore bien la langue française. C’est pour cela qu’elle hésitait à participer aux activités scolaires. Une autre mère l’a finalement convaincue. « Aujourd’hui, je suis élue au conseil d’école de l’école élémentaire et élue au collège de mon fils aussi. Nous travaillons par exemple à créer un café des parents dans le collège. »

Rabia porte le voile, comme nombre de mères qui s’engagent dans les écoles à travers la France. Nous retrouvons plusieurs d’entre elles au centre de vie sociale des Garennes, un quartier de Mantes-la-Jolie. « Sans notre présence, les enfants ne pourraient plus aller aux activités sportives, illustre la parente d’élève. Pour la piscine, le créneau horaire attribué est de seulement de 45 minutes. Il faut aider les enfants à se changer au début et à la fin. Sans les parents, ce ne serait pas possible et l’activité piscine serait annulée. »

« Dans nos écoles, nous n’avons aucun problème » (...)

Le 28 octobre, un ancien candidat du Front national attaque une mosquée à Bayonne, blessant deux hommes. Le 29, le Sénat adopte une proposition de loi des Républicains pour interdire le port du voile par les mères accompagnant les sorties scolaires. Le texte a peu de chance d’être voté à l’Assemblée nationale, Jean-Michel Blanquer y étant, malgré tout, opposé. Il ne devrait donc pas entrer en vigueur. Mais ces débats récurrents ont des effets sur les musulmans de France, sur les mères, et leurs enfants.

Le fils de Rabia, par exemple, lui a demandé pendant des semaines si la loi interdisant aux femmes musulmanes portant le foulard de participer aux sorties était passée. « Il me faisait mal au cœur », dit-elle. Dans les écoles de Mantes-la-Jolie, le climat est en tous cas bien plus apaisé que sur les plateaux de certaines télés. « Dans nos écoles, nous n’avons aucun problème sur cette question », témoigne Damien Hareau, le directeur de l’école élémentaire Madame-de-Sévigné. Pour lui, la participation des mères est, en plus, indispensable pour la vie de l’école. « Sans elles, nous sommes morts », résume-t-il. (...)

« Quand il y a un souci, même d’ordre religieux, c’est tout de suite réglé par la communication »

Patricia Lartot, directrice d’école à Mantes-la-Jolie, voit elle aussi au quotidien le fossé qui sépare les fantasmes de certains politiques et commentateurs, de la vie réelle de son établissement. « Là-haut, ils sont en train de créer des problèmes que nous n’avons pas, nous dit-elle. Le voile n’est pas un problème. Les mères sont très présentes et très actives. Quand il y a un souci, même d’ordre religieux, c’est tout de suite réglé par la communication. » Au fil de ses quarante ans d’expérience dans les écoles du département, la moitié comme enseignante, l’autre comme directrice, Patricia Lartot en a vécu, des polémiques de ce type. « La question du voile à l’école n’est pas nouvelle. Mais concernant les mères voilées dans les sorties scolaires, le Conseil d’État a tranché en 2013 », analyse la directrice.

Dans un avis rendu il y a sept ans, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative en France, estimait en effet que les personnes accompagnatrices ne sont pas des agents du service public, et donc pas soumises à la neutralité religieuse [3]. (...)

« Nous apprenons la tolérance à nos enfants, et à côté de cela, ils voient que leurs mères sont rejetées »

Et pourtant, au marché de Noël de l’école, Khadija, jeune mère, se souvient encore de son anxiété lors de la polémique de l’automne. « J’avais la boule au ventre », nous dit-elle. « Déjà que nous vivons beaucoup de discriminations dans tous les domaines. Moi, j’ai la chance de travailler, je suis assistante bilingue dans une grande entreprise, mais ce n’est pas le cas de toutes. Beaucoup de femmes portant le foulard ne trouvent pas de travail. Alors, nous interdire en plus les sorties scolaires… Non, on se dit que ce n’est pas possible. »

Elle pointe aussi la confusion que ces attaques provoquent chez les enfants (...)

La large manifestation contre l’islamophobe organisée à Paris le 10 novembre 2019 lui a toutefois redonné espoir. L’événement avait réuni des dizaines de milliers de personnes. « Quand j’ai vu qu’il y avait tant de monde, j’ai pleuré. Ça rassure. »