Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Le Grand Continent
La gauche espagnole freine la vague réactionnaire
#Espagne #extremedroite #gauche
Article mis en ligne le 26 juillet 2023
dernière modification le 25 juillet 2023

Qui gagne ? Qui perd ? Les élections du 23 juillet en Espagne ont défié la plupart des pronostics et le vainqueur n’est peut-être pas celui que l’on croit. Dans une perspective fouillée, Pablo Stefanoni tente d’expliquer aussi bien l’amère victoire de la droite que la douce défaite du camp progressiste.

La brève campagne électorale pour les élections espagnoles, qui furent anticipées après la sévère défaite du bloc progressiste lors des dernières élections locales, a été marquée par une certitude généralisée : le Parti populaire (PP) allait remporter les élections. Comme le disait un spot électoral du PP, en référence à Verano azul (l’été azur), une série télévisée populaire des années 1980, l’été allait être bleu pour la droite.

La question était de savoir de quelle ampleur serait leur victoire. (...)

Mais aucun de ces scénarios ne s’est déroulé dimanche soir. C’est pourquoi, bien qu’il ait obtenu plus de voix et plus de députés, lorsque Núñez Feijóo est apparu devant le siège du parti dans la rue Génova, sa joie factice peinait à couvrir la déception, et la tension ambiante : même en ajoutant les ultras de Vox, le PP n’a pas réussi à atteindre le nombre magique de 176 députés.

Si, entre 2019 et 2023, le PP est passé de 89 à 136 sièges, cette croissance s’est faite en grande partie au détriment de Vox, et surtout de Ciudadanos, qui a disparu. Le bloc de droite et d’extrême droite n’a plus aucune chance de trouver d’autres alliés où que ce soit. C’est pourquoi, devant les militants et les dirigeants du parti, Núñez Feijóo leur a demandé de le « laisser gouverner » puisqu’il était arrivé en tête, comme si l’Espagne était un régime présidentiel. Mais l’Espagne est une monarchie constitutionnelle avec un régime parlementaire, ce qui signifie que celui qui obtient la majorité au Congrès des députés gouverne, pas celui qui, individuellement, a réuni le plus de voix.

Ainsi, alors que le PP a gagné en perdant, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a perdu en gagnant, en obtenant 122 députés. (...)

Que s’est-il passé ?

Les résultats s’expliquent en partie par la semaine précédant les élections, au cours de laquelle les socialistes ont fait un retour en force, grâce à la mobilisation de l’électorat progressiste contre un éventuel gouvernement de droite et d’extrême-droite. Les socialistes et Sumar ont cherché à présenter Feijóo comme un menteur qui, lors du débat avec Sánchez, n’aurait pas hésité à recourir à des demi-vérités, des mensonges et des accusations infondées. Le candidat conservateur a trébuché dans plusieurs interviews et a refusé de participer au débat à quatre, où la gauche s’est alors adressée à Santiago Abascal de Vox comme s’il était un représentant de Feijóo. Vers la fin de la campagne, une vieille photo a ressurgi dans laquelle on voit l’ancien président de la Galice posant sur un bateau avec un trafiquant de drogue. La réponse de M. Feijóo, qui a expliqué qu’à l’époque, il n’y avait pas de Google pour savoir qui était Marcial Dorado, a fait oublier les effets positifs du débat du 10 juillet. Dans le même temps, Yolanda Díaz, elle-même galicienne, a réussi à attaquer Feijóo plus efficacement que le PSOE lui-même. (...)

La stratégie radicale de Sánchez a fonctionné : en avançant les élections, la campagne électorale a coïncidé avec la formation des gouvernements régionaux issus des élections du 28 mai. Tant dans les mairies que dans les communautés autonomes (Valence, Baléares, Estrémadure), le PP a pactisé avec Vox pour obtenir des majorités. Et cela a eu un coût : Vox a voté contre la loi contre la violence sexiste ; il cherche à retirer les drapeaux LGBT des municipalités ; il a mis en place des bannières de campagne appelant à jeter les drapeaux catalans et LGBT ; et il a été accusé de censure culturelle. Le parti d’extrême droite a par exemple refusé, pour de soi-disant raisons budgétaires, qu’une pièce adaptée d’Orlando de Virgina Woolf soit jouée à Valdemorillo, une municipalité de 15 000 habitants dans la Communauté de Madrid.

Le PSOE a basé sa campagne sur la prévention de l’arrivée au pouvoir du « bloc involutif » — autrement dit, le bloc de la régression — PP-VOX, et Feijóo a dû répondre dans chaque interview à la question de savoir s’il répéterait à l’échelle nationale les alliances locales avec l’extrême droite. Bien que le leader populaire ait tenté à maintes reprises d’esquiver la réponse, les mathématiques électorales ne laissaient aucun doute : le seul allié possible du PP était Vox.

Le rôle de l’ancien président José Luis Rodríguez Zapatero a également été important dans la campagne socialiste. Il a défendu le bloc progressiste et attaqué le bloc conservateur avec une telle énergie et une telle précision rhétorique que de nombreuses personnes de gauche ont mis de côté le fait que le mouvement des indignados avait essentiellement été tourné contre lui pour en faire une référence dans les débats actuels.

Pour éviter une fuite des voix vers l’extrême droite, le PP a radicalisé son discours et Feijóo a abandonné son image de président modéré de la communauté de Galice. (...)

de manière opportuniste, il a profité de l’échec de la loi « seul un oui est un oui », promue par le ministère de l’égalité, aux mains de Podemos, qui, en modifiant les peines maximales et minimales, a permis la libération anticipée de certains délinquants sexuels condamnés. Bien que la loi ait été « corrigée », avec le vote du PSOE et du PP et le rejet de Podemos, Feijóo n’a cessé d’accuser Sánchez de permettre la libération « massive » de violeurs tout en prétendant défendre les femmes. Le PP, abandonnant toute modération, a fini par traiter Sánchez comme une sorte de squatter de la Moncloa, un gouvernement illégitime. (...)

Mais les résultats s’expliquent aussi par la géopolitique de cet État, en pratique plurinational, qu’est l’Espagne. La campagne furieusement anti-identitaire en Catalogne et au Pays Basque a affaibli à l’extrême le vote du PP dans les deux communautés, tandis que le vote du PSOE a augmenté. En Catalogne, les socialistes, après leur politique de pardon et d’apaisement des tensions sur la question de l’indépendance, ont remporté la victoire le 23 juillet. Ils sont également arrivés en tête au Pays basque. (...)

Quoi qu’il en soit, la gauche a résisté, alors même qu’elle affrontait une profonde crise interne et qu’elle sortait d’un important échec électoral. Sumar a par exemple perdu quelques sièges, mais il reste essentiel pour former un nouveau gouvernement progressiste.

Le bloc réactionnaire

Si le PP pouvait au moins célébrer sa première place aux élections, bien qu’il n’ait aucune chance de former un gouvernement, Vox n’avait strictement rien à fêter, et cela s’est vu dans l’attitude de Santiago Abascal, son principal dirigeant. En effet, l’extrême droite est passée de 52 à 33 députés. (...)

La bonne nouvelle pour les progressistes est que Vox a subi un coup dur dans les urnes ; la mauvaise nouvelle est que cela s’est produit parce que le PP s’est approprié une partie de son discours et de ses formes. Mais même ainsi, ils restent loin de la majorité absolue attendue. (...)

Ni le soutien explicite, formulé dans un espagnol parfait, de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, ni les encouragements du Polonais Mateusz Morawiecki et du Hongrois Viktor Orbán n’auront suffi ; est-ce un avertissement aux analyses qui surestiment le rôle de « l’internationale réactionnaire » dans les politiques nationales ?

Les élections espagnoles ont de nouveau opposé deux Espagnes, celles qui se sont jadis livrées à une guerre civile sanglante dont l’épilogue reste encore à écrire. Ce n’est pas un hasard si la mémoire est au centre du débat et si la droite veut abroger des lois qu’elle considère comme biaisées en faveur du camp républicain. Quoi qu’il en soit, les résultats, au-delà de l’échiquier politique complexe qu’ils ouvrent, avec certaines possibilités de blocage politique, ont endigué la vague réactionnaire qui menaçait l’un des pays européens les plus à gauche. Si dimanche, un gouvernement de droite et d’extrême droite paraissait assuré, aujourd’hui il existe deux alternatives : le renouvellement de Sánchez, avec un gouvernement progressiste sans majorité absolue ou de nouvelles élections. (...)