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La vie des idées
La formation des petits performants
Ghislain Leroy, L’école maternelle de la performance enfantine, Peter Lang, 2020, 162 p., 29,00 €.
Article mis en ligne le 26 mai 2020
dernière modification le 25 mai 2020

L’histoire de l’école maternelle montre que les pratiques éducatives évoluent avec les conceptions que l’on se fait de l’enfant, des préoccupations physiologiques du XIXe siècle à la pédagogie de « projet », en passant par la psychologie des années 1970.

(...) sur quelles représentations de l’enfant se fondent les pratiques éducatives de l’école maternelle d’aujourd’hui ?

Une représentation scolaire de l’enfant

Une importante part du livre est consacrée à la reconstruction de l’évolution historique des perceptions de l’enfant à l’école maternelle depuis les années 1970. (...)

Pour Leroy, depuis sa création en 1830, l’école maternelle (alors appelée « salle d’asile ») est d’abord dirigée par le souci des besoins physiologiques de l’enfant. La mortalité infantile élevée à la fin du XIXe siècle, liée aux épidémies, peut expliquer l’importance alors accordée aux questions d’hygiène. À cette époque, l’expert de l’enfant est avant tout un médecin, c’est-à-dire un spécialiste du corps. À partir des années 1960, la représentation de l’enfant prend une tournure psychologique et c’est vers le psychanalyste que l’on se tourne plus volontiers pour savoir ce qu’il faut faire pour bien éduquer les enfants. On se met ainsi à considérer l’enfant comme un être ayant des besoins psychologiques, et plus seulement physiologiques. Conformément aux idées psychanalytiques alors très influentes, les représentations de l’enfant se trouvent explicitées dans les programmes de 1977 à partir de notions comme l’affectivité ou la créativité (...)

Les pratiques éducatives liées à cette représentation expressive de l’enfant mettent la priorité sur les situations encourageant l’expression créative (dessin, chant, etc.) en laissant au second plan les activités plus scolaires (écriture, lecture, etc.).

À la fin des années 1980, commence une deuxième période caractérisée à la fois par une défiance vis-à-vis des conceptions « libertaires » de l’éducation et par une affirmation plus directe du caractère contraignant de l’école maternelle. Ici, les représentations de l’enfant s’énoncent à partir des catégories de règles ou d’autonomie : l’enfant est un être qui ne peut devenir libre qu’en apprenant à accepter les contraintes extérieures. On assiste dès lors à une revalorisation du travail scolaire et à la mise en place de dispositifs pédagogiques encourageant le travail en autonomie (par exemple en travaillant sur des fiches). Mis au second plan, la créativité et le souci de la sécurité affective de l’enfant ne sont pas totalement absents des pratiques de cette époque que l’on peut considérer comme une période de transition. (...)

Le troisième temps, dans lequel nous nous situons aujourd’hui, débute à la fin des années 1990. Il est marqué par ce que Leroy qualifie d’« émancipation de la représentation scolaire de l’enfant » (p. 35). Ce dernier est alors représenté comme un être devant acquérir les « savoirs fondamentaux » qui lui permettront de réussir à l’école élémentaire. Les pratiques éducatives mises en œuvre dans ce contexte sont surtout scolaires, c’est-à-dire définies par des objectifs pédagogiques précis pouvant être mis en rapport avec les tâches emblématiques de l’école élémentaire (lecture, écriture, calcul, etc.).

Dans l’ensemble, l’histoire que dresse Leroy est bien celle d’un basculement, progressif, mais très net, d’une conception de l’enfant définie par l’affectivité à une conception de l’enfant définie par l’instruction. (...)

Une école de la performance enfantine, du stress et des inégalités

Sur cette base, on peut se demander si les représentations scolaires de l’enfant n’amènent pas parfois les enseignants à mettre en place des situations qui font obstacle à l’apprentissage de certains enfants. La critique de l’école maternelle développée par Leroy peut être résumée en deux temps.

D’abord, l’école maternelle contemporaine est jugée stressante pour les enfants. Préoccupés par la rentabilité scolaire de leurs pratiques, les enseignants deviennent sourds aux demandes d’assistance affective des enfants et créent un climat de classe austère pouvant être source de mal-être. (...)

Ensuite, la forme scolaire des activités proposées est défavorable aux élèves les plus faibles qui se retrouvent fréquemment mis à l’écart des activités éducatives. (...)

La représentation scolaire de l’enfant s’actualise ainsi dans une école « de la performance enfantine » (p. 147) qui cherche à être toujours plus « rentable » scolairement et qui met sur les épaules des élèves la responsabilité de leur performance.
Une représentation scolaire qui s’éloigne des pédagogies nouvelles

Un point fort de l’ouvrage est la réflexion que propose l’auteur autour des « pédagogies nouvelles » dans les pratiques éducatives de l’école maternelle contemporaine. Pour rappel, l’expression « pédagogie nouvelle » désigne, de façon générale, les pratiques éducatives inspirées des propositions de pédagogues comme Decroly, Montessori ou Dewey. Pour Leroy, ces différentes approches pédagogiques se retrouvent sur l’exigence d’une éducation centrée sur les désirs et intérêts de l’enfant. Les retours de terrains montrent que l’école maternelle n’est plus ce lieu qui était si favorable au développement de ces pédagogies dans les années 1960-1970. Au contraire, les enseignants d’aujourd’hui se montrent souvent sceptiques et reprochent aux pédagogies nouvelles de ne pas prendre suffisamment en compte l’impérative intériorisation des contraintes liées à l’organisation et aux activités de la classe. (...)

Cependant des enseignants militants cherchent toujours à garder un lien avec l’esprit des pédagogies nouvelles, notamment en ayant recours à une pédagogie du « projet ». Le terme « projet » désigne ici le fait de lier les activités scolaires à une finalité se voulant motivante pour les élèves (une correspondance, une sortie, etc.), finalité permettant du même coup d’unifier thématiquement des activités scolaires relevant de domaines de compétences différents (...)

Leroy note cependant la présence d’un « hiatus » entre ce que les enseignants disent de leur pédagogie et ce qu’ils font réellement en pratique. Sur le terrain, on observe des projets fortement dirigés, décidés par l’enseignant sans que de véritables moments de débats soient mis en place. Il semble alors que la représentation scolaire de l’enfant amène les enseignants à ne pouvoir considérer les propositions des pédagogies nouvelles que d’une manière dégradée et finalement peu fidèle à leur esprit d’origine. Dans le dernier chapitre du livre, Leroy accentue cette observation en montrant que chez les enseignants s’inspirant des pédagogies Montessori, les pratiques éducatives observées restent fortement conditionnées par la représentation scolaire de l’enfant et sont sujettes aux mêmes critiques que celles adressées plutôt à l’école maternelle « traditionnelle ». (...)

Point de vue critique et réflexivité des acteurs

Leroy offre une description très instructive des pratiques éducatives de l’école maternelle contemporaine et de donne des éléments permettant de les situer dans l’histoire récente. (...)