
Non, la crise n’est pas seulement le fléau rampant que nous décrions. Elle est aussi problématique que créatrice et pousse constamment l’Homme à élaborer de nouvelles réponses. En partant de notre constat d’impuissance contemporaine face à la crise, Myriam Revault d’Allones déroule une argumentation convaincante sur notre conception du temps et de nous-mêmes. Elle nous démontre que l’accélération des rythmes de vie, de l’innovation technologique, amène l’Homme à ne plus pouvoir compter sur les expériences passées devenues trop lointaines pour comprendre le présent ou même se prémunir du futur.
(...) Dans notre société, l’axiome des temps modernes -percevoir, raisonner et expérimenter-ne permet plus de concevoir l’avenir avec confiance. Par ces trois canaux, l’Homme des Lumières était capable de définir des lois et des normes lui permettant d’agir par rapport aux expériences passées. Cette méthodologie n’a plus de prise sur un temps étanchement séparé entre passé, présent et futur. La crise est désormais le cadre de notre existence, et il semble difficile de le dépasser par les moyens philosophiques que l’Homme s’est forgé. Là où la Révolution française "ne se laissait même pas 7 jours pour refaire le monde" (E. Quinet), les métamorphoses politiques de notre temps pèsent par le poids qu’elles exercent sur l’actualité, pas par l’action en elle-même. (...)
L’accélération du temps a une influence sociale et politique majeure sur les sociétés. Elle s’explique par trois principaux phénomènes, développés par Rosa dans son ouvrage Accélération : l’accélération technique, des rythmes de vie, et des mutations sociales et culturelles. (...)
Autre conséquence de ce changement de paradigme, "le passé n’éclairant plus l’avenir, c’est à l’avenir qu’il revient de justifier le présent." Quelle que soit la conception du temps, la crise reste un moment où de nouvelles alternatives s’élaborent pour répondre à un problème nouveau auquel les solutions passées n’ont plus de réponse. La fonction critique du temps reste donc la même, mais l’Homme n’en a plus la même perception. (...)
Sans prétendre détenir une vérité unique, l’auteure esquisse une ouverture plutôt optimiste en guise de conclusion de son essai. Elle réaffirme la force motrice de la crise, dont "la force contraignante porte à élaborer une autre compréhension de la réalité, à abandonner la recherche du dénouement pour envisager son pouvoir de questionnement". La crise est désormais double. Il s’agit maintenant pour l’Homme de résoudre l’état critique d’impuissance dans lequel il s’est lui-même placé, en remettant la scienceet le progrès à son service. (...)